Cent mille crimes et délits sont enregistrés bon an, mal an, depuis trois ans. L'année qui s'achève aura été marquée, au plan de la sécurité intérieure, par le basculement de la violence, du terrorisme au crime organisé. Le caractère illisible et invisible du terrorisme adopté en 2004 par les divers groupes armés et principalement par le Gspc, ne permet d'en tirer aucune conclusion, hormis qu'ils sont réellement démunis et fragilisés. Après un mois de Ramadan particulièrement sanglant, avec près de 40 citoyens tués, nous avons assisté à un étrange recul de la violence, notamment durant le mois de décembre. Si les effets du terrorisme sont surmédiatisés, nous restons encore perplexes face à la sous-visibilité des motifs qui le sous-tendent. Les islamistes du Gspc, qui ont réussi à faire une OPA sur le djihad en Algérie, ont été sévèrement battus en brèche, notamment avec la décapitation du groupe : Nabil Sahraoui a été tué par l'armée lors d'une traque sur les hauteurs de Bourbaâtache et Fenaïa, Abderezak le Para a été capturé au Tchad et livré à Alger, Hattab a mystérieusement «disparu» (liquidé par ses pairs, disent des sources sûres), et la dissidence déclarée à l'Est et à l'Ouest suite à l'intronisation d'Abdelouahab Deroukdel à la tête du Gspc. La violence s'est brusquement altérée depuis l'annonce, il y a un mois, d'un projet politique portant amnistie générale. Il est évident que la volonté de déposer les armes ne fait pas l'unanimité dans les maquis du Gspc, mais on peut espérer que certains pensent sérieusement mettre un terme à un combat théologico-politique aux contours et aux objectifs mal définis. Pourtant, rien n'est venu affirmer que les islamistes armés et leurs bandes affiliées ont été laminés. Le ministre de l'Intérieur, Nouredine Zerhouni, avait parlé, il y a quelques mois, lors d'une visite à Skikda, de 350 terroristes encore opérationnels, alors que le patron de la Dgsn, Ali Tounsi, a affirmé il y a quelques jours, qu'entre 300 et 500 terroristes en arme sont encore en activité. Cependant, ce qu'il faut retenir plus que le terrorisme, c'est le basculement de la violence armée vers le crime organisé. Avec près de 4000 personnes tuées chaque année, les accidents de la route ont largement mérité le nom de «terrorisme routier». Mais c'est probablement le crime organisé qui fait le plus peur et qui nourrit le plus le débat chez les responsables des services de sécurité. De janvier à décembre 2004, des dizaines de banques, postes et autres recettes municipales ont été dévalisées à main armée par des bandes de jeunes. Les connexions entre terroristes et bandes organisées sont avérées, mais les jeunes qui prennent des initiatives de cambriolage par l'action violente sont de plus en plus nombreux, notamment en région kabyle où la «délocalisation» des brigades de gendarmerie et le harcèlement fait à la police par un surplus de zones de tension ont permis aux jeunes, tentés par la radicalisation, d'adopter des procédés qui s'apparentent au «gangsterrorisme», pour reprendre un néologisme américain (voir ci-contre). Le vol à main armée et le braquage de banques ont été les deux nouveautés 2004. La participation des femmes au crime est une «curiosité» avec près de 250 femmes arrêtées en 2004 pour vol, falsification, soutien au terrorisme, menace et détournement d'argent. Près de 300.000 affaires ont été traitées par la gendarmerie et la police dans le cadre de crimes ou de délits liés à la criminalité et au grand banditisme. En neuf mois uniquement - de janvier à septembre - la Gendarmerie nationale a traité 7650 affaires liées au crime contre les personnes et 8309 autres pour crime contre les biens publics et privés, 1411 personnes pour atteinte aux bonnes moeurs et 775 pour usage de faux. Le trafic de stupéfiants est l'autre crime duquel découle le plus de crimes et de délits, avec 2000 affaires traitées en l'espace d'une année et 2300 personnes arrêtées. L'Algérie, qui passe de pays de transit à pays de consommation, découvre que ses jeunes sont largement partisans des «paradis artificiels», selon la bonne vieille formule de Baudelaire. Une autre activité qui fait école : la fabrication de faux billets de banque. Plusieurs réseaux de jeunes, âgés entre 20 et 25 ans, ont été démantelés, mais l'argent mis en circulation passe de main en main. Les jeunes tentent à chaque fois de créer les richesses à partir de rien, de faire banco dans un contexte de décomposition totale des repères culturels et spirituels, et où le pire reste à venir...