Le moindre geste d'Ahmed Ouyahia est observé à la loupe. Disséqué sans indulgence. Tous ces comportements à faire pâlir de jalousie le psychanalyste Lacan n'ont qu'un seul objectif : trouver la faille dans cette «machine» que l'on qualifie «des plus achevées» de ces quinze dernières années. Ce quadra du pouvoir n'a pas démérité. Loin s'en faut. Il a traversé toutes les tempêtes politiques emmenant son embarcation à bon port. Ouyahia est-il un bon ou un mauvais chef de gouvernement? Est-il un vrai homme d'Etat, comme ses proches aiment à le présenter, ou un squale de la politique que seul le pouvoir, ce formidable aphrodisiaque, intéresse? Ouyahia a encore de beaux jours devant lui. C'est l'exemple même de l'archétype de l'animal politique. C'est surtout l'honnêteté intellectuelle qui exige de le dire, l'homme politique indispensable aujourd'hui à tout changement porteur dans ce pays. En quinze ans de crise, l'homme politique a suscité bien des jalousies. D'abord dans le sérail politique, celui-là même qui le materne depuis qu'il a franchi allégrement les allées du pouvoir. Aujourd'hui, Ouyahia se conjugue à tous les temps. Et à tous les modes. L'Algérie pourra-t-elle se passer de cet enfant prodige? PRODIGE est ici le mot exact. Cet énarque n'a pas volé sa réputation. Dans son approche politique des grands événements ayant marqué la vie de la nation, dans la vision qu'il se fait d'une République sortie exsangue de plus de dix ans de tournis et de violence sans répit, l'homme politique qu'il est, évite le piège du populisme, de la démagogie si prisée dans le monde arabe et en Afrique. C'est simple, quand le pays est sous l'emprise d'un mal profond, le DOCTEUR Ouyahia n'élude pas au patient ou à ses proches l'ampleur du mal. Il se fait un devoir de dire la vérité. Toute la vérité. Ce verdict médical pourrait se résumer en trois mots: «Il faut opérer». La politique du «bistouri» ne le répugne pas. Souvenez-vous: les ponctions salariales qui avaient tant fait jaser les syndicalistes et les sirènes de l'ouvriérisme, c'était bien lui. A vouloir passer sous les fourches caudines du FMI, il faut accepter d'en payer le prix pour sortir l'Algérie de son enlisement pré-libéral. Il ne rechigne pas à la tâche. Sous Zeroual, dans ses fonctions de chef de gouvernement, il a innové à sa manière. Jusque dans les travées de l'Assemblée nationale, il a su tenir tête, avec brio, à ceux qui rêvaient de le faire tomber en usant du fallacieux prétexte que la sécurité n'était plus garantie dans le pays. N'avait-il pas donné une leçon magistrale à tous ces «gueux de la politique»? Il a géré le pays, les mains dans le cambouis. Il revendique lui-même sa qualité d' «homme des sales besognes». Rares sont les hommes politiques dans le monde qui suivent l'instinct de leurs convictions avec une telle outrecuidance dans leur jusqu'au-boutisme. Je pense sincèrement qu'Ouyahia est aujourd'hui l'esprit politique le plus brillant de sa génération. Qui mieux que lui peut se targuer de connaître l'alpha et l'oméga de la vie politique nationale? C'est la chance de l'Algérie post-terrorisme. Tous ceux qui ont glosé sur sa fin imminente, en ont pour leurs frais. Personne d'autre que lui ne comprend aujourd'hui que le système éprouve un pressant besoin d'oxygène. Visionnaire plein de bon sens, il a bien saisi, en bout de piste, que cette glorieuse dynastie qui a régné quarante ans sur l'Algérie, n'est plus aujourd'hui qu'un souvenir. Pourquoi? Depuis qu'il a accédé à cet univers quasi mystique de la politique, cet homme n'a pas cessé de façonner, dans l'ombre et le secret, le monde réel. Dans le pays, il fait partie du cercle étroit de ceux qui «savent et détiennent» le pouvoir. C'est un alchimiste hors-pair. Communiquer, séduire sont les deux ressorts de sa vie. C'est un orfèvre du bon mot. Ses conférences de presse en portent le sceau. Il adore peser sur les destins et les événements, infléchir leur cours. Toujours animé de ce réflexe rédempteur qui lui est propre, pour lui, un Etat, un vrai , ne doit pas être réduit au coup d'Etat permanent bien qu'il soit un vrai Casanova de la politique. Ses détracteurs et une certaine partie de la presse l'accusent volontiers de pratiquer son métier de politicien sans vergogne, sans scrupules et sans complexes. En vérité, ce sont tous ces «reproches» qui font le style de la gouvernance Ouyahia. Son seul point faible, c'est peut-être son âge. Dans son CV, il lui manque UNE guerre. Oui, sa «guerre». Mais il n'avait qu'à peine dix ans à l'indépendance. On pourrait lui reprocher un jour de ressembler peu aux grands hommes qui ont gouverné et fait l'Histoire de l'Algérie, et de manquer de charisme, mais il aurait alors cette particularité magique de rétorquer en citant Mitterrand: -«Vous voulez coûte que coûte me comparer à Georges Clemenceau. Moi, je n'ai pas de chance. Je n'ai pas eu de guerre». Ah! cette sacrée guerre de Libération. Combien l'ont utilisée en fonds de commerce? En tiroir-caisse? Mais ce ne sera pas lui qui criera, un jour: «Les ringards au rancard». Il a été élevé dans le respect d'autrui. L'Etat est une seconde religion pour lui. Et depuis des lustres, il reste convaincu que la politique a toujours été une aventure collective. En plus, il est assez averti que l'aventure réserve bien souvent des...surprises. C'est ce qui explique pourquoi il ne succombe jamais au vertige de l'ego. Le président Bouteflika a, peut-être, la chance extraordinaire de gérer l'Algérie avec lui. D'Octobre 1988 à décembre 2004, soit seize années de crise plus ou moins lancinante, l'Algérie n'a pas eu cette chance extraordinaire qu'ont souvent les autres nations de voir émerger un grand chef de l'opposition. Un nouveau guide. C'est dans les tragédies que vivent les nations, que naissent les grands esprits et les hommes providentiels. Je pense qu'Ahmed Ouyahia a été, au cours de ces longues années de crise et de dépression, la seule révélation dans la classe politique. Ouyahia: qui dit mieux?