Un autre grand moment pour le Palais des nations L'article 99 bis accorde une grande marge d'action à l'opposition, mais la met devant ses responsabilités sur l'usage qu'elle peut faire de cette disposition constitutionnelle. L'article 99 bis du projet de révision de la Constitution stipule entre autres que «chaque chambre du Parlement consacre une séance mensuelle pour débattre d'un ordre du jour présenté par un des groupes parlementaires de l'opposition». Le même projet réduit le nombre de sessions parlementaires à une seule d'une durée de dix mois. Mathématiquement, il est accordé à l'opposition, au terme de la révision de la Constitution pas moins de 10 occasions par an de poser les questions qui lui semblent importantes. L'adoption du projet de la Constitution par les partis de la majorité suppose donc, une réorganisation substantielle du pouvoir législatif. Celui-ci sera certes prioritairement contrôlé par la majorité au pouvoir, mais celle-ci devra faire avec une opposition qui dispose d'une arme constitutionnelle, lui ouvrant l'opportunité de remettre sur la table des décisions prises par l'Exécutif ou même des lois votées en plénière. L'article du projet de révision de la Constitution qui aborde le sujet, renvoie au règlement intérieur de chacune des deux chambres du Parlement pour sa mise en oeuvre, consacre à l'opposition un poids qu'elle n'avait pas par le passé. Ainsi, les partis représentés à l'APN pourront désormais jouer un rôle précis dans les débats publics. Dans un passé récent, on a, en effet, à plusieurs reprises, vu des parlementaires investir la rue pour exprimer leurs opinions sur des questions nationales, cela en l'absence d'une possibilité leur permettant de le faire dans le cadre de la loi. Ce genre de manifestations a été constaté à l'occasion du mouvement contre l'exploitation du gaz de schiste ou encore en pleine campagne électorale pour l'élection présidentielle de 2014. Les partis de l'opposition avaient mis en exergue «l'abus de pouvoir» de la présidence de l'APN qui leur avait fermé la porte à un débat parlementaire sur des questions qu'ils estimaient importantes et d'intérêt national. Cette «entorse» à l'action de l'opposition sera, en cas d'approbation des amendements proposés, levée et les formations politiques de l'opposition auront l'opportunité d'inscrire autant de questions qu'il y a de mois dans la session parlementaire. Ramené à la vie publique nationale, cet article aura le grand mérite de connecter directement le Parlement au mouvement de la société. L'on peut aisément imaginer l'usage que fera le Parti des travailleurs ou l'Alliance de l'Algérie verte de cette disposition du projet de révision de la Constitution. Ces deux partis et les autres groupes parlementaires pourront se saisir des grandes questions sociétales et les imposer à l'ordre du jour des plénières de l'Assemblée populaire nationale. Cet article, autant qu'il accorde une grande marge d'action à l'opposition, la met devant ses responsabilités sur l'usage qu'elle peut faire de cette disposition constitutionnelle. On imagine certainement que les islamistes utiliseront cette «largesse» constitutionnelle pour mener des campagnes contre certaines aspirations à la modernité exprimées par de larges couches de la société. Des épisodes jusque-là «sourds» seront portés au grand jour via l'APN, à l'image de l'acharnement que les islamistes ont déployé contre la loi sur les violences faites aux femmes ou les déclarations de ministres sur des aspects qu'ils estiment anti-islamiques. Le danger d'une sur-utilisation de l'article 99 bis de la Constitution est donc réel, mais il est entendu, par ailleurs que le combat politique n'est pas seulement sur le flanc islamiste de la scène nationale. Si la classe politique parvient à «gérer» les velléités populistes susceptibles d'user de cette disposition constitutionnelle, il est évident que cette «innovation», d'ailleurs inattendue par les partis de l'opposition, aura pour effet d'intégrer l'opposition en tant qu'acteur du système de gouvernance. Les députés devront faire l'effort d'avancer de véritables contre-propositions. Ceci améliorera le rendement du pouvoir législatif. Plus encore, ce seul article impactera sérieusement les relations entre le pouvoir et l'opposition. Les rapports de force évolueront sans doute au bénéfice de l'opposition qui pourra jouer un rôle législatif bien plus intéressant que celui qui lui est imparti actuellement et lui ouvrira les portes de la société civile et des mouvements associatifs. Ce double «cadeau» constitutionnel obligera, à n'en pas douter, les partis au pouvoir de se rapprocher de cette même société civile et développer des actions concrètes dans sa direction pour éviter de voir sa crédibilité s'effriter. L'article 99 bis crée donc une sorte de feed-back positif entre les deux principales composantes de la classe politique et connectera la société politique à celle civile. Il reste que tout cela ne pourra se matérialiser qu'à la condition que les partis, de la majorité et de l'opposition, fassent montre d'une maturité politique à même de construire un système politique plus efficace et surtout à l'écoute des aspirations profondes de la société.