Comme pour les médicaments, tout ouvrage destiné aux enfants et adolescents doit répondre à des critères stricts «C'est par le livre, et non par l'épée que l'Humanité vaincra le mensonge, l'injustice et conquérra la paix finale de la fraternité entre les peuples.» (Emile Zola) La semaine passée, votre rubrique a traité de l'opération d'envergure que le ministère de l'Education s'apprête à lancer en collaboration avec son homologue de la Culture. Il s'agit, vous l'avez deviné, de la promotion de la lecture-plaisir en milieu scolaire; un projet réanimé après un black-out de quatre années. Cette opération conjointe entre les deux ministères nécessite un encadrement qualifié. Par expérience, l'intérêt de l'élève pour le livre dépend du seul engagement des équipes pédagogiques, celles en charge de l'enseignement des langues notamment. Il s'agit de motiver en fournissant les moyens adéquats pour mener à bien cette noble mission. A commencer par des ouvrages appropriés aux centres d'intérêt des élèves, mais aussi de la formation-perfectionnement pour les médiateurs que sont les enseignants. Il est vrai que seuls des enseignants qui aiment lire peuvent susciter ce goût chez leurs élèves. Une fois ces conditions réunies, l'enseignant s'attèlera à initier ses élèves à différentes activités. Elles sont nombreuse, variées et surtout captivantes: gérer le registre des prêts, élaborer une fiche de lecture, présenter un exposé d'un livre lu, en débattre, illustrer les textes, les théâtraliser. Voire même en élaborer à partir de leur propre expérience: un ouvrage collectif inspiré d'un conte, d'une histoire ou d'un roman qui les aura particulièrement touchés. De la sorte, ils bonifieront leur pratique de la langue (arabe, français, tamazight, anglais..). Les TIC sont aussi un moyen de booster la lecture; il faut juste penser à leur bonne utilisation. Quant aux dispositifs de terrain, ils sont aussi nombreux que les idées émanant des pédagogues praticiens: la bibliothèque de la classe, la bibliothèque éclatée ou itinérante. Il y a lieu aussi d'évoquer les pratiques sociales qui jusque-là ont empêché l'éclosion d'un lectorat en milieu scolaire. C'est au-delà de l'école qu'il faudrait lorgner. D'autres institutions sont interpellées: les médias, la jeunesse et les sports, les collectivités locales, la famille, le mouvement associatif. Comment ne pas saluer des initiatives du genre «le Petit Lecteur» à Oran, la bibliothèque de Sidi Bel Abbès animée par l'écrivaine Maîssa Bey ou les bibliobus itinérants de la Bibliothèque nationale d'Alger? Sont-elles toujours en activité? Des projets de ce genre ont besoin d'être encouragés par les pouvoirs publics et les démultiplier à travers le territoire national. La mise en synergie et la mutualisation des moyens de toutes les institutions qui gravitent autour de l'enfant et de l'adolescent constituent une garantie de pérennisation de ce mouvement de fond dédié à la promotion de la lecture. Un mouvement qui fera, sans nul doute, le grand bonheur de nos élèves. Ils découvriront les oeuvres de romanciers algériens ainsi que les classiques de la littérature universelle. Ainsi se forge l'ancrage identitaire, se cultive ce noble sentiment qu'est le patriotisme et se développent les réflexes d'une future citoyenneté. Les retombées de ce vaste chantier ne seront pas seulement d'ordre culturel et pédagogique: maitrise de la(les) langue(s) et élargissement de l'horizon culturel de jeunes lecteurs. Les aspects économiques ne seront pas en reste. La demande en ouvrages sera quasi annuelle. Colossale! Retombées économiques A terme, la généralisation de la lecture-plaisir offrira des perspectives de travail alléchantes à tous les intervenants de la chaîne du livre et dont beaucoup sont en chômage: auteurs, illustrateurs, imprimeurs, libraires, éditeurs. Jusque-là exploités par les barons d'un parascolaire «bas de gamme», nos retraités de l'éducation trouveront ainsi une opportunité de donner libre cours à leur créativité bonifiée par l'expérience. Par cette occasion, ils se réconcilieront avec la vie active et pourront encadrer les plus jeunes. Ou pour les plus créatifs, adapter des oeuvres littéraires, les traduire et en créer. Eux qui ont passé leur vie à faire découvrir à leurs élèves - les adultes d'aujourd'hui - la magie du «vivre livre»... pour s'épanouir et devenir autonome. Encore faudrait - il que les éditeurs se mettent au diapason des nouvelles exigences: qualité, professionnalisme. Le cahier des charges doit retenir toute l'attention des autorités compétentes. A l'ère de la mondialisation, nos éditeurs doivent éradiquer le laxisme, l'amateurisme et la médiocrité. Comme pour les médicaments, tout ouvrage destiné aux enfants et adolescents doit répondre à des critères stricts. Nos enfants méritent de jouir d'ouvrages de qualité. En se proposant d'alimenter les bibliothèques scolaires - il y a 25.000 établissements et 8 millions de lecteurs potentiels - en livres adaptés aux tranches d'âge ciblées, l'Etat va se préparer à une opération d'envergure. Mais faudrait-il que cette volonté soit relayée par le terrain et que l'enthousiasme soit au rendez-vous dans les salles de classe, dans les bibliothèques municipales et les maisons d'édition. Un sacré défi! Si la musique adoucit les moeurs, la lecture-plaisir les civilise. Et aux bonnes âmes de se demander sur les causes de cette violence, récurrente au sein de notre société depuis de longues années. Une violence qui déborde la famille et la rue pour souiller le temple sacré du savoir, l'école et l'université. La violence, l'incivisme et la faiblesse linguistique de nos jeunes n'est- elle pas la rançon - entre autres - d'un déni des bénéfices inestimables que procurent les activités culturelles, sportives et artistiques: la lecture-plaisir, le théâtre, le sport, la musique, la chorale, etc. «Civiliser» les esprits Autant de vecteurs qui participent à «civiliser» les esprits et les comportements, canaliser l'agressivité des adolescents, promouvoir les vertus du «vivre - ensemble», oxygéner les neurones, bonifier l'intelligence, faciliter les apprentissages scolaires. La liste est longue des vertus tonifiantes de ces activités culturelles. Il est vrai que la valorisation du statut scolaire de ces activités passe inévitablement par une refondation pédagogique qui sonnera la fin du 'tout à mémoriser'' et à restituer. Et pour cela, il est nécessaire que les mentalités changent et qu'elles acceptent de se départir de la vision ancienne qui minorise la littérature classique, notamment les auteurs algériens, l'EPS, l'éducation artistique et les activités culturelles et manuelles. Cette vision (minorisation) de l'éducation scolaire empêche l'épanouissement de nos enfants. Un type d'éducation axée sur le couple infernal bachotage (de l'enseignant)-parcoeurisme(de l'élève) qui tire ses origines de l'enseignement religieux des Jésuites du Moyen-Age et de nos zaouïas et écoles coraniques traditionnelles. Malheureusement, dans bien des pays, ce couple infernal a marqué de son empreinte les pratiques et les moeurs scolaires et les pratiques pédagogiques des enseignants et des inspecteurs. Y compris de nos jours encore!