Sharon, qui joue sur du velours, veut bien accorder «l'insigne honneur» d'une rencontre avec le prochain chef de l'autorité. Lors même que le flou total continue d'entourer le décès tragique du président Yasser Arafat, environ 1,8 million de Palestiniens en âge de voter étaient conviés hier à désigner un successeur à celui qui a toujours matérialisé la cause de ce pays vraiment pas comme les autres. Ce scrutin a ainsi beau garder rivé sur lui l'ensemble des regards des médias, des chancelleries, capitales et observateurs, il n'en constitue pas moins un enjeu mineur compte-tenu du fait que très peu de choses sont attendues du futur chef de l'Autorité palestinienne au charisme moindre que celui d'Arafat, et qui aura toujours en face de lui un homme inflexible comme Sharon, qui plus est, jouissant du soutien des Américains et des Européens au moment où la Ligue Arabe se débat dans des conflits internes qui réduisent plus encore son poids sur l'échiquier géopolitique international. C'est pourquoi, les spéculations qui prédisent une victoire assez large à Mahmoud Abbas, successeur tout désigné à Arafat, et qui trône déjà à la tête de l'OLP, estiment au contraire que la Palestine, qui va entrer dans une nouvelle zone de turbulences, va dans le même temps enregistrer de nouvelles concessions face aux poussées colonialistes d'un Sharon plus que jamais pris à la gorge par les radicaux de son parti, ayant tout basé sur l'intolérance et le rejet systématique de l'Arabe en général, et du Palestinien en particulier. Toujours est-il que le nouveau leader palestinien devra relever, hélas sans grande chance d'y parvenir, des défis colossaux s'il veut laisser sa trace dans l'histoire du Proche-Orient. «Il aura pour ce faire besoin de l'aide d'Israël», estiment des analystes, ce qui rend sa tâche d'autant plus ardue, partant du constat que Sharon ne reculera pas d'un seul pas dès lors qu'il a résolument le vent en poupe. Mahmoud Abbas, donné grand vainqueur lors de cette élection présidentielle, succédant ainsi à un homme aussi irremplaçable que Yasser Arafat, a répété durant sa campagne qu'il entend mener à bien des réformes institutionnelles sans cesse reportées et mettre fin à la situation anarchique qui prévaut, au niveau sécuritaire, en Cisjordanie et à Gaza. C'est, du reste, un alibi aussi obsolète qui a toujours servi aux Israéliens et aux Américains pour mettre hors-jeu Arafat, comme si la résistance palestinienne n'était pas une réaction noble et humaine face aux agressions quotidiennes et criminelles de Tsahal, menant une guerre sans merci avec des armes ultramodernes contre un peuple éternellement frondeur, armé uniquement de frondes et de pierres. Rawhi Fattouh, qui assure les fonctions de président en exercice de l'Autorité palestinienne depuis la mort, le 11 novembre, de Yasser Arafat, a annoncé pour sa part que les élections parlementaires auront lieu le 17 juillet. M.Abbas a déjà annoncé qu'il avait l'intention de réduire le nombre des services de sécurité de onze, actuellement, à trois. La prolifération de ces services de sécurité a été source de corruption et d'inefficacité. M.Abbas a, par ailleurs, tenu plusieurs réunions avec les groupes armés, dont le Hamas, et a assuré qu'il était en mesure de parvenir à une cessation des opérations armées de ces groupes contre Israël. Azmi Chouaïbi, un député indépendant, pense que M. Abbas va, dans un premier temps, chercher à mettre en place des réformes gouvernementales, et qu'il s'efforcera par la suite de trouver un accord avec les factions armées. «Je pense qu'il va d'abord engager des réformes politiques, financières et au plan de la sécurité, en s'efforçant de mieux coordonner son action avec un parlement doté de réels pouvoirs», avant de «reprendre le dialogue avec les factions armées», estime M.Chouaïbi, qui préside la Commission économique du Conseil législatif palestinien. M.Abbas a déclaré à plusieurs reprises qu'il est partisan du dialogue avec ces groupes et qu'il ne veut pas risquer une «guerre civile». Israël insiste, de son côté, pour que M.Abbas démantèle ce qu'il appelle les «infrastructures terroristes» palestiniennes. Ziad Abou Amr, un ancien ministre de M.Abbas, estime pour sa part que si ce dernier devient président de l'Autorité palestinienne, il privera M.Sharon de l'argument selon lequel il n'a pas de partenaire politique valable, comme il le prétendait avec Arafat. «Mais je doute qu'il ait cependant la volonté d'aider Mahmoud Abbas», ajoute-t-il. Mahmoud Abbas a en face de lui six autres candidats dont le plus important et le plus virulent n'est autre que Marwane Barghouti. Un trublion qui peut même fausser les calculs des uns et des autres et qui, hier, était le seul à crier à la fraude bien avant que les résultats n'aient été annoncés.