Un débat très riche Hania Zazoua, Rym Mokhtari, Feriel Gasmi Issiakhem et enfin Mohamed Ghobrini ont apporté chacun son avis sur le domaine, le tout dans un débat de près de trois heures, modéré par Zoubir Hellal. Tout et n'importe quoi! Ainsi pourrions-nous résumer l'état des lieux de cette table ronde consacrée au design en Algérie, laquelle a été animée samedi dernier à l'Espace d'art contemporain d'El Achour par quatre acteurs de la scène artistique qui ont abordé le sujet; certains en longueur et d'autres en extrapolant vivement. Une table ronde qui nous a renseignés surtout sur le marasme que connaît le secteur de l'art contemporain encore une fois, sachant que tous les segments de la chaîne sont liés de toute façon. Alors comme dit l'adage «tous les chemins mènent à Rome», les arts plastiques et l'artisanat mènent au design. Un peu confus fut toute de même cette table ronde qui a embrouillé les esprits de certains par trop de «littérature» étalée ici et là non sans avoir toutefois abordé les réels problèmes liés à cette discipline qui peine à prendre son essor en Algérie. Ainsi, il est regrettable d'en sortir avec un tableau plutôt négatif au regard de toutes les énergies brassées ici et là pour tenter de faire émerger cette «pratique» hors du circuit des expositions, et la faire rayonner en une véritable industrie à part entière, mais pourquoi s'en enquérir puisque de toute façon c'est à l'image de la situation des arts plastiques en Algérie. Exception faite de quelques cas de personnes qui ont su tirer leur épingle du jeu et arrivent à vivre de leur art. C'est le cas notamment de Hania Zazoua, qui, à force de persévérance, après des études en Algérie et puis dans une école d'art à Aix en Provence a réussi à faire de sa passion du design sur textile un choix de métier, en détournant au premier abord les objets exposés pour leur donner vie et les mettre sur le marché. C'est ainsi qu'aujourd'hui, créant son label Princesse Zazou, ses oeuvres qui mêlent fil (chas) et souris (ordinateur) ont donné naissance à des matières sur objets finement conçues et esthétiques, à usage utile, tels des sacs, pochette, chaise, fauteuil etc. Une réalisation qui ne se fait pas sans l'apport des artisans. Et de relever un souci qui existe, celui «de la confusion des genres», fera-t-elle remarquer, avec l'obligation de reconnaître les droits d'auteurs aux concepteurs et de se féliciter par ailleurs de faire sortir ses créations dans la rue, tel du street art moderne et accessible. A côté d'elle Rym Mokhtari, enseignante actuellement à l' Esba, n'a pas fait pour sa part dans la dentelle si l'on ose dire. En effet, dans un style presque académique et ne se départissant pas de ses feuilles, telle une étudiante studieuse, elle s'est attelée à lire ses notes pour nous parler du design graphique, à savoir la typographie dont elle est tombée amoureuse sur le tard (lors d'un stage à l'imprimerie Maugin, de Blida, avec Denis Martinez) - bien que sans trop s'éloigner de ses premiers amours qu'est la bd- et qu'elle tend aujourd'hui à enseigner tant bien que mal à ses élèves sachant qu'il y a une grande scission entre théorie et pratique à l'Ecole des beaux-arts. Evoquant les enjeux quasi politiques que peut entraîner la typographie par exemple arabe, elle citera des noms de quelques typographes célèbres et de se poser la question en s'y référant: «Est-ce que c'est l'écriture qui doit s'adapter au peuple ou bien le contraire?» Elle déplorera le manque d'ateliers, de stages et de workshop qui permettraient aux étudiants d'effectuer leur travaux in situ. Feriel-Gasmi Issiakhem commencera d'abord par relater son parcours qui s'est illustré d'abord en tant qu'architecte puis chef de projet à la Sonatrach avant de se lancer à proprement parler dans le design. «Tout reste à faire dans ce domaine en Algérie. «En Algérie on est encore en termes de débat dans l'histoire du design de l'époque du Bauhaus....», annonce-t-elle avec amertume. Et d'ajouter «le design c'est avant tout une question d'intelligence, de travail et d'engagement» fera-t-elle remarquer, tout en se félicitant de l'existence de cette manne qu'est l'artisanat pour pouvoir faire des choses en termes de design quitte à le faire rayonner à l'étranger tout en déplorant le manque de prise de risque chez nos designers, ici, dans notre propre pays, qui souvent «attendent l'aide à la création» de la part de nos autorités. Elle insistera sur le statut du designer qu'il faut occuper en Algérie dans un contexte miné par la crise économique et l'importation tous azimuts de mobilier notamment qui coûte les yeux de la tête. «On n'est pas là pour faire le beau, il faut oublier un peu sa personne et activer. Il faut de l'investissement personnel. Je ne fais pas de rupture entre architecture, design, arts plastiques. L'idée est que chaque projet puisse avoir des retombées économiques, non pas pour satisfaire son ego mais en regardant au long terme...» Mohamed Ghobrini, enseignant et chercheur abordera quant à lui le cas de l'Esba et de l'université de Mostaganem en faisant le comparatif entre ces deux institutions en établissant l'historique dans la formation artistique, se demandant au final si l'Esba devra vraiment adhérer au système du LMD ou rester une école qui sert à former avant tout des professionnels en art, notant en outre que malgré les efforts consentis par l'Esba dans ses réformes, celle-ci reste tributaire du vieux système de l'école française. Entre des chiffres et des anecdotes rébarbatives, mais néanmoins intéressantes, les intervenants relèveront aussi la marginalisation de la formation artistique au sein des écoles régionales. Se posera aussi parmi l'assistance la question de «faut-il prendre en compte le diplôme ou le nombre d'années dans l'exercice artistique pour pouvoir enseigner?» Autant de questions et d'assertions émanant d'ici et là des interventions mais avec toujours ce constat qui revient sur le tapis, relatif à «la formation plus ou moins caduque de l'Ecole des beaux-arts» et «l'absence d'environnement accueillant pour l'apprentissage du design en Algérie» (dixit Nabila Kalache) et puis cette éternelle observation: «Il faut structurer les métiers» (dixit Zoubir Hellal). En attendant que toute cette jungle puisse être un jour débroussaillée, l'on continuera à crier dans le vide et «marcher à tâtons dans le noir». Mais n'est-ce pas, au final, la définition du sens de l'engagement? se jeter à l'eau les yeux fermés? En gros, on n'a rien sans rien...