Rattrapée et accablée par son passé colonial, la France traduit le général Aussaresses devant le tribunal de Paris pour complicité d'apologie de crimes de guerre. Au lendemain de la défaite des armées françaises de juin 1940, le gouvernement de Vichy, dirigé alors par le maréchal Pétain, envoya devant la Cour de Rion la plupart des dirigeants politiques français en les accusant d'avoir mal préparé la guerre. Presque immédiatement après, Hitler, dans un discours destiné à l'opinion publique française, dira: «On reproche à ces hommes - les accusés de Rion - d'avoir mal préparé la guerre. Pourquoi ne veut-on pas leur reprocher tout simplement le fait d'avoir préparé la guerre?». Avait-il raison de s'exprimer de la sorte ? Les avis risquent d'être partagés. Pour des raison diverses, souvent étrangères les unes des autres et même contradictoires, des médias français et algérien ont fait d'Aussaresses une vedette. Durant huit ans de guerre, combien d'Aussaresses le ciel d'Algérie a-t-il abrités? Il est quasiment certain qu'on ne le saura jamais avec certitude. Du point de vue des droits des gens, y aurait-il une différence quelconque entre les généraux Bugeaud, Montagnac et St Arnaud, de sinistre mémoire, et notre contemporain le général Aussaresses? Apparemment, l'écart ne semble pas important entre la démarche des premiers cités et Aussaresses. Ceux-là ont également brûlé, déporté, pendu, enfumé dans des grottes, ou bien donné des instructions pour ce faire lorsqu'ils n'intervenaient pas directement eux-mêmes. En fin de compte, quelle était la mission fondamentale d'Aussaresses et de tous ses homologues d'Algérie? Qui les a investis dans cette mission, eux et tous les autres qui n'étaient pas des Aussaresses, mais dont l'action allait dans le même sens avec des méthodes et des moyens différents? Ces messieurs les tortionnaires et leurs commanditaires des forces sociales dirigeantes luttaient pour conserver à la colonisation le butin de la guerre de conquête entreprise en Algérie à partir de 1830. De ce point de vue, la responsabilité d'Aussaresses apparaît nettement minime face à celle des généraux et au- tres qui ont réalisé la conquête. Les Aussaresses et consorts s'attaquaient aux individus alors que les autres se sont attaqués à tout le peuple en le dépossédant de sa liberté et de sa terre. Les généraux de l'époque de la conquête ainsi que ceux du temps de la Guerre de Libération exécutaient des instructions émanant de la direction politique française du moment. Pourquoi donc ce sont seulement les généraux de la période de 1954-1962 qui alimentent les divers menus de l'opinion publique algérienne, laquelle ignore non seulement les noms des ténors français de la conquête, mais également leurs crimes sur plus de 130 ans?