Né à Tixeraïne, Mohamed Sekat appartient à une génération de chanteurs qui ont su donner à la chanson d'expression kabyle une touche moderne hautement universelle. Mohamed a fait l'école primaire toujours à Tixeraïne et à la cité Malki. Les études secondaires, le jeune Mohamed les fera à Château- neuf, sur les hauteurs d'Alger, avant d'aller poursuivre son cursus à l'Ittpb de Kouba. L'Expression: Racontez-nous vos débuts et la naissance de la chanson mythique Oh! A Thanina. Mohamed Sekat: Aux environs de 1973 ou 1974, nous avons fait un disque composé de deux chansons; Anevdhou youghal dhechathoua et la chanson Anidha thalidh azhar. C'est ma voix que vous entendez dans cet album du groupe Issoulas. Ensuite, en 1977-1978, nous avons enregistré un 33 tours Thachamlith dans lequel j'ai chanté À yadhrar vou idhaflawen. Après avoir quitté le groupe, j'ai enregistré un 45 tours Oh! A Thanina et Dilahna. En 1978, j'ai sorti une cassette en France composée de sept chansons. En 1985, j'ai arrêté de chanter. Depuis, j'ai enregistré huit chansons que j'ai déposées à la Radio Chaîne 2. Après cette trop longue absence, peut-on espérer un retour de Mohamed Sekat? Ah oui, bien sûr. J'ai préparé huit chansons du niveau de Thanina. Je devais enregistrer cette semaine, mais hélas, des petits soucis m'ont contraint à repousser le projet vers un avenir proche. Ça va me permettre de faire mes révisions (rire). Je tiens aussi à informer mon public via votre honorable journal que je reprendrais la chanson Thanina dans sa version française traduite par Tahar Djaout. Je sais que ça va faire plaisir à beaucoup de personnes en déterrant un texte inédit écrit de la main du grand poète d'Oulkhou. Racontez-nous quelques souvenirs lointains de votre carrière d'artiste. A l'âge de cinq ans, j'avais composé une chanson dont je me souviens encore et même mes frères et soeurs la connaissent. C'est ma mère qui me l'a rappelée quand j'ai grandi. À cette époque-là je ne connaissais pas la scène. Ma mère m'emmenait aux fêtes dans les maisons où les femmes fredonnaient nos chansons folkloriques. Un jour, j'ai encore en tête l'image de ce phonographe qu'on tournait à la manivelle pour écouter les 78 et 33 tours. Très jeune, j'ai «baigné» dans la Radio Chaîne 2 que j'écoute et que j'aime jusqu'à présent ainsi que tous les animateurs anciens et nouveaux à qui je rends hommage. Adolescent, je n'aimais pas trop le «bidon» dont parlaient les anciens. Moi, je fabriquais avec du contre- plaqué un genre arrondi comme un banjo avec des fils de pêche. Le son était doux. Pas comme celui qui raisonnait du «bidon». Jeune homme, tous mes amis de l'époque me choisissaient pour chanter dans des occasions, et ils m'accompagnaient. Déjà, avec mes amis, on chantait dans les fêtes. A l'époque, c était folklorique jusqu'en 1973 où j'ai eu l'idée de chanter quelque chose de moderne. Les jeunes de l'époque étaient très influencés par la musique occidentale. Il y avait plein de groupes qui chantaient les Beatles, le rock, le blues; moi je voulais m'exprimer dans la langue de ma mère. J'avais un batteur occidental mais avec moi, il jouait algérien. En 1973, je chantais moderne dans un groupe moderne qui s'appelait Issoulas. Ça c'est du passé. Maintenant, nous sommes au présent et moi je suis encore vivant et Dieu merci. J'ai envie de revoir mon public même si je sais qu'il m'a peut-être oublié. Voilà. Je n'ai pas quitté ce groupe pour chanter en mon nom comme le prétendaient certains qui refusaient toutes les invitations aux galas de l'époque. C'est faux. Si j'avais voulu un nom je l'aurais eu puisque les médias parlaient déjà de moi. J'ouvre une parenthèse d'ailleurs au souvenir et pour remercier Abdelmadjid Merdaci qui a écrit un article sur moi en 1972 sur El Moudjahid. Je remercie les trois frères Merdaci et je profite de votre honorable tribune pour leur passer un très grand bonjour. Quand j'ai quitté le groupe, tout l'entourage m'avais mis en quarantaine. Je me suis retrouvé seul et je chantais mon désespoir et celui des autres. Puis en rentrant dans notre patrimoine Thanina est venue conforter mon désespoir. Le musicien qui a joué cette chanson est un brave homme que je n ai pas vu depuis. Il s'appelle Hamouten Omar. Il venait de Tizi Ouzou pour répéter avec moi. Il n'a jamais accepté de l'argent. Il voulait juste m'aider. Pour preuve, je vous raconte une histoire. Les mauvais souvenirs, c'est quand à l'époque, il y avait un gala ou une fête et que personne ne m'invitait. Cela me faisait mal au coeur. J'étais à la fleur de l'âge. C'était ça qui m'avait jeté dans l'oubli. Je n'avais aucun moyen de paraître en public même maintenant d'ailleurs. On a chanté mes chansons sans mon autorisation sans même un remerciement. Vous savez, ils ont propagé sur moi toutes sortes de rumeurs. Dieu! Qu'est-ce que je n'ai pas entendu sur moi! mais au bout du compte, je m'en suis sorti. J'ai beaucoup de chansons comme A Thanina et avec une voix meilleure que celle que vous avez entendue. Ma seule force est mon public que j'aime beaucoup. Pour les bons souvenirs, je me souviens qu'en 1975 un gala organisé à Béjaïa avec tous les chanteurs modernes de l'époque dont Idir, Djamel Allam, le groupe Issoulas et bien d'autres. J'ai chanté devant un public merveilleux. Quand j'ai quitté le groupe Issoulas, j'ai rencontré Izri Brahim; pareil pour lui aussi qui a quitté le groupe Igoudar, le mythique groupe auteur de la chanson Aarous vouvarnous. Brahim m'a proposé de me jouer l'accompagnement, on faisait beaucoup de fêtes. Et c'était moi qui avait insisté pour qu'il monte sur scène. Il me disait qu'il était bon pour l'accompagnement. Il a fini quand même par chanter en public avec moi avant de partir par la suite en France. Allah yarahmou! Je crois que c'est le seul chanteur qui a parlé de moi à Berbère TV. Quelques artistes que vous admirez? Idir et Malika Domrane. Ces deux personnes disent beaucoup de bien de moi. Je voudrais rajouter à la liste des gens à remercier mon frère Youcef qui m'aide beaucoup avec bien évidemment, Ldjouher de la Radio Chaine 2. J'apprécie aussi l'aide conséquente de l'association de la cité Malki. Que pensez-vous de la nouvelle génération de chanteurs? La jeunesse artistique est différente de la génération des anciens, mais ce n'est pas de leur faute. C'est le cours de la vie. Nous, les anciens artistes, à l'époque on avait l'occasion de voir et d'écouter et de connaître les plus anciens qui nous donnaient des conseils. A l'époque, chacun avait son propre style. La génération d'après faisait uniquement de la reprise. Mais ces dernières années, il y a eu une amélioration, il y a beaucoup de chanteurs qui font de belles choses. J'espère que ça va continuer. Si j'ai un conseil à donner aux jeunes c'est de préserver leur patrimoine algérien.