Le Premier ministre français, à la hussarde, veut faire passer en force le texte du projet de réforme du droit du travail en recourant à l'article 49-3 de la Constitution française Le Premier ministre Manuel Valls a annoncé mardi à l'Assemblée nationale le recours à l'article 49-3, une arme constitutionnelle permettant à l'exécutif de contourner l'absence de majorité pour adopter le texte. Le gouvernement français va jouer aujourd'hui une partie risquée au Parlement après avoir choisi d'engager sa responsabilité pour faire adopter le controversé projet de réforme du droit du travail, la droite minoritaire ayant déposé une motion de censure pour le faire tomber. Le Premier ministre Manuel Valls a annoncé mardi à l'Assemblée nationale le recours à cette arme constitutionnelle permettant à l'exécutif de contourner l'absence de majorité pour adopter le texte, présenté comme la dernière grande réforme du quinquennat du président socialiste François Hollande. «Poursuivre le débat parlementaire fait courir le risque de revenir sur l'ambition du projet de loi, de renoncer à sa cohérence, d'abandonner le compromis que nous avons construit et d'offrir le spectacle désolant de la division et des postures politiciennes», a plaidé Manuel Valls. Selon l'article 49-3 de la Constitution, si aucune motion de censure n'est votée, le texte sera considéré comme adopté par l'Assemblée. Il sera cependant encore soumis au vote du Sénat - à majorité de droite - avant de revenir à l'Assemblée, où le gouvernement pourrait à nouveau recourir au 49-3 pour son adoption définitive. Mais l'opposition de droite, minoritaire à l'Assemblée nationale, a déposé mardi une motion de censure, qui sera débattue aujourd'hui et soumise au vote de l'Assemblée, en dénonçant «l'impasse dans laquelle François Hollande a mené (le) pays». Les communistes et la gauche radicale ont aussi appelé à censurer l'exécutif. La quarantaine de députés socialistes «frondeurs», dont les voix étaient nécessaires pour obtenir une majorité sur le projet, se réunissaient hier pour arrêter une position. Pour être adoptée, une motion de censure doit recueillir au moins 288 voix. Manuel Valls a dit mardi soir sur la chaîne TF1 «ne pas craindre» que son gouvernement puisse être renversé. «A chacun de prendre ses responsabilités. S'il y a des députés de gauche qui veulent voter la motion de censure de la droite, ils n'ont qu'à le faire», a-t-il lancé. Ce psychodrame n'est que le dernier d'une longue série depuis le virage social-libéral entamé par le président Hollande à mi-mandat, puis son virage sécuritaire après les attentats jihadistes de novembre à Paris (130 morts). La crise a été déclenchée par cette réforme du droit du travail qui vise, selon le gouvernement, à donner plus de souplesse aux entreprises pour lutter contre un chômage de masse (plus de 10%). Mais la réforme est jugée trop libérale par ses détracteurs à gauche qui craignent une aggravation de la précarité. La droite, elle, juge que le texte ne va pas assez loin. Signe de la fébrilité du gouvernement, l'entourage de Manuel Valls a indiqué mardi qu'une des mesures les plus controversées concernant les règles des licenciements économiques ne serait finalement pas inscrite dans la loi: les grandes entreprises ne pourront pas, comme initialement prévu, se limiter à arguer de difficultés dans leurs seules filiales françaises. En revanche la primauté donnée aux accords d'entreprises sur les accords de branche est maintenue dans le texte. Les syndicats réformistes estiment avoir infléchi le texte dans le bon sens, mais les centrales contestataires ne désarment pas. Sept syndicats opposés au projet de loi ont appelé à des grèves et manifestations les 17 et 19 mai. Les manifestations se succèdent depuis deux mois, avec un pic de mobilisation le 31 mars avec 390.000 manifestants dans toute la France. Depuis les cortèges se sont réduits et radicalisés, avec plusieurs incidents violents. La contestation a aussi donné naissance à un mouvement social inédit, baptisé «Nuit Debout», qui occupe le soir la Place de la République, au coeur de Paris. A l'appel de ce mouvement qui a estimé mardi que le recours au 49-3 était une «insulte au peuple», plusieurs centaines de personnes ont manifesté dans l'après-midi devant l'Assemblée nationale. En dégainant le 49-3, déjà utilisé en 2015 pour une réforme portée par le ministre de l'Economie Emmanuel Macron, le gouvernement - déjà très impopulaire - prend le risque de froisser encore plus son propre camp à un an de la présidentielle de 2017, et alors que François Hollande reste englué dans une impopularité record.