Sur le dernier film de celui qui a été «consacré», prodige canadien, Xavier Dolan, les avis sont partagés, voire pire que ça... «Juste la fin du monde», était très attendu, sur la Croisette... Il n'a pas franchement déçu, mais n'a pas non plus levé les foules... Pourtant, le texte, théâtral, d'un des plus prometteurs auteurs de théâtre français, Jean-Luc Lagarce, avait de quoi séduire... Il s'inscrivait dans cette droite ligne d'une dramaturgie, en vogue alors et que le film danois «Festen» de Thomas Vinterberg, avait popularisée, en 1998... Ceci pour ne pas remonter au fameux film de Claude Chabrol «Le Boucher»... L'argument? Un fils (Gaspard Ulliel), jeune écrivain, retourne, chez lui, pour informer de sa mort prochaine. Ce sont les retrouvailles avec le cercle familial où l'on se dit l'amour que l'on se porte à travers les éternelles querelles. De cette visite qu'il voulait définitive, le fils repartira sans avoir rien dit. La famille? Une brochette de stars, bancables: Marion Cotillard, Nathalie Baye, Vincent Cassel, Léa Seydoux... Certes, Dolan a, ici, recours, à un texte de théâtre, il s'est donc retrouvé dans une posture d'adaptateur avec les contraintes d'usage. Il n'est plus le même... Et ce serait encore mieux, penserait-on!... Car l'on parlerait, là alors, de renouvellement... Mais le cinéaste québécois n'est pas né de la dernière pluie, il recadrera l'image à son esthétique en usant d'un «subterfuge», casse-cou, un recours (intempestif?) à la musique, qui remplira les vides, qui sont pourtant nécessaires à la dramaturgie tissée par le défunt auteur Lagarce... Un flot de propos, à flux tendu, était déjà bien en place pour décrire le malaise, couvant, au sein de cette famille, en crise... Mais pour Dolan, il semblerait que ce ne soit pas assez, à moins que cela ne soit l'expression d'un manque de confiance dans une mise en scène, pourtant bien «roublarde» avec ses cadrages, enserrant aussi bien les interprètes de ce drame que le regard du spectateur. Mais alors où se nicherait-elle, cette gêne diffuse, du cinéphile? Peut-être dans cette impression que le cinéaste aurait aussi fait preuve d'une certaine arrogance esthétique, comme s'il exerçait une démonstration de (sa) force! Un critique parlait de cette «communauté bavarde et sourde» qui s'était formée autour du revenant, ne parvenant à l'accueillir qu'en l'accablant de questions gauches, de phrases maladroites et d'invectives vulgaires. En somme, les ingrédients de la «mayonnaise dolanienne»... Celle qui lui aura permis d'être accueilli dans le cercle des cinéastes-penseurs, en trublion, en empêcheur de tourner en rond... Soit. Sauf qu'avec ce film, pour lequel il a semblé av oir revêtu l'accoutrement de Lucky Luke, Xavier Dolan ne tire pas, tel le héros de cette B.D., plus vite que son ombre, mais plus vite que ses propres acteurs, sur lesquels il met entre lui et eux cette longueur d'avance, à coup de musique lénifiante et de cadrage culotté, mais pas du tout habillé pour la circonstance... Si bien que le public pouvait, facilement, avoir une longueur d'avance (au moins) sur les comédiens, chargés, en principe de développer le fil de la narration selon leur propre rythme! L'image-temps, s'est trouvée supplantée par l'image-espace... Un auto-parasitage du plus mauvais effet et qui ne cessera, selon nous, que le jour où Xavier Dolan maîtrisera son hyperactivité... Pour le moment il écrit, réalise, monte, choisit les costumes et met son grain de sel dans la musique... Cela frise la boulimie chez l'auteur et l'indigestion guette le spectateur. Aussi, le meilleur cadeau à faire à ce jeune cinéaste canadien, c'est de le faire revenir chez lui bredouille... On le soupçonne de ne pas être du tout bête et donc, une fois l'ego soigné, il serait capable de retrouver ce souffle original qui lui avait permis de faire son entrée dans la cour des grands sans être adoubé par un quelconque studio ou une star du moment... «Juste la fin du monde» avait tout pour être transformé en un masterpiece: Un zeste de Bergman («Cris et Chuchotements»), une pincée de Cassavetes («Une femme sous influence»), et «chouïa» de Fassbinder (n'importe lequel de ses films) et la fraîcheur de Dolan et l'on aurait été convié au banquet des rois!Mais c'est l'intrusion de Kleber Mendonça Filho qui renversa toutes les tables dressées avec «Aquarius «, une Palme d'or en puissance. Un deuxième film qui mérite largement la consécration cannoise. Cette réalisation est le contre-exemple par excellence du cas cité plus haut, tant la simplicité dans le traitement enchante, tel un parfum, genre «Premier Figuier»... Il siérait à cette merveilleuse sexagénaire Sonia Braga, une star brésilienne, mais surtout connue pour être une qui se bat, comme une héroïne de la Cherchelloise Assia Djebar, avec un sentiment d'urgence contre la régression et la misogynie. Sous le ciel étoilé de Cannes, durant la fête brésilienne, Sonia Braga, ce «trésor national», dans son pays rayonnait. Elle accepta de laisser filer quelques mots, en réalité des pensées profondes, sur «la date de préemption des femmes, décrétée par les hommes», elle qui balance dans une candeur désarmante, guettant votre sourire, «comme, mon personnage, je me sens souvent enfant!», et le rire en cascade fuse alors dans la douceur de la nuit cannoise... Il est vrai que c'est la même Sonia Braga qui écrivit sur son blog, en 2015: «Les choses ne font que commencer, je n'imaginais pas qu'avec ce film, c'était le début d'une nouvelle vie!»... Un texte écrit pour l'anniversaire de ses... 65 ans! En haut des marches, entourée de toute son équipe, en tenue de soirée, Sonia Braga brandit un petit écriteau en soutien à Dilma Roussef, la présidente du Brésil déchue. Toute l'équipe du film avait un petit écriteau entre les mains, mais Sonia avait quelque chose en plus... Un poing levé...