Depuis l'époque ottomane, les chiites sont marginalisés sur leur propre sol. Les Irakiens ont voté pour désigner un Parlement provisoire et non pas pour répondre à une question précise du genre : êtes-vous pour le renversement du régime de Saddam Hussein? C'est que le vote est présenté, et certainement ressenti comme tel, comme la fin véritable d'une époque et le début d'une autre. Ce que les armes n'ont pas pu réaliser, un bulletin est censé le faire : consulter le peuple irakien sur son propre devenir. D'abord, il y a cette réalité d'un Irak où la population chiite est plus nombreuse et où les kurdes sont dépouillés de leurs droits en tant qu'entité. Depuis l'époque ottomane, les chiites sont marginalisés sur leur propre sol. Maintenant bien sûr, il y a ce grand problème de ne pas retomber dans l'autre travers, celui d'une théocratie religieuse, une sorte de république islamique à l'iranienne. Auquel cas, tous les efforts de l'administration Bush, connus sous le plan Grand Moyen-Orient, tomberaient à l'eau. Les Irakiens ont voté, malgré les menaces de Zerkaoui. Mieux, malgré les attentats de Zerkaoui, et d'Al Qaîda, et les tracts si gracieusement distribués par des militants baâthistes de l'ancien régime. Donc, ce sont les électeurs irakiens eux-mêmes, qui n'ont pas besoin de tuteurs, qui ont répondu à la question. S'ils ont voté, c'est sûrement pour mettre un terme à cette spirale de la violence. C'est aussi pour dire qu'ils ne se reconnaissent pas dans les attentats de Zerkaoui. Pour dire aussi que depuis 1991, à la suite de cette invasion du Koweit qui ne leur a apporté que des malheurs, ils veulent réellement tourner la page. La première guerre du Golfe avait déjà ruiné l'économie du pays et détruit toutes ses infrastructures, ensuite il y eut cette période connue sous la dénomination de «Pétrole contre nourriture», les enfants irakiens manquant de lait et de médicaments. Le bras de fer qui oppose Zerkaoui au gouvernement irakien deviendra plus compliqué maintenant. Car les autorités sorties des urnes auront plus de légitimité. Malgré la présence des troupes de la coalition, Zerkaoui ne pourra plus prétendre parler au nom des Irakiens, car qu'on le veuille ou non, la majorité silencieuse aura dit son mot et exprimé ses préférences. Dans les attentats commis depuis un an et demi, même si beaucoup de soldats américains meurent presque tous les jours, ce sont surtout des Irakiens innocents qui paient de leur vie, déchiquetés sous le souffle des bombes ou mutilés à vie. Malheureusement, Zerkaoui ne pourra pas changer de méthode de travail, car sa logique à lui c'est de semer la mort. En a-t-il les moyens voire même la volonté? Si les Irakiens se donnent des instances élues et légitimes, dans un scrutin pluraliste unique en son genre depuis plus de cinquante ans, Zerkaoui aura perdu la partie. Politiquement parlant, bien sûr. Rien n'indique en effet qu'il mettra un terme à ses attentats. Reste la présence américaine et des forces de la coalition. Seules des instances légitimes irakiennes pourront négocier le départ de ces dernières et la fin de l'occupation. A ce moment-là, on verra si les Bush et Blair sont vraiment là pour libérer l'Irak, ou s'ils ont d'autres objectifs inavoués. En tout état de cause, ce vote n'est que le début d'un long processus qui doit mener, si tout se passe bien, à la démocratisation de l'Irak. Jusqu'à preuve du contraire, l'Irak est un pays sous domination étrangère, un pays à la recherche de sa souveraineté perdue. Si le vote est un premier pas en direction du retour de cette souveraineté en même temps que celui de sa démocratisation, ce sera quelque chose de bien. Sinon, on pourra dire que les souffrances du peuple irakien ne sont pas près de se terminer.