Fayez al-Sarraj et son gouvernement n'arrivent toujours pas à débloquer la situation Deux mois après son installation à Tripoli, le gouvernement libyen d'union nationale (GNA) soutenu par l'ONU peine à stabiliser un pays toujours profondément divisé et devenu une base du groupe Etat islamique (EI). Le 30 mars, le Premier minis-tre désigné du GNA, Fayez al-Sarraj, débarquait d'un navire militaire libyen au port de Tripoli, bravant l'hostilité des autorités non reconnues internationalement qui faisaient la loi dans la capitale libyenne depuis août 2014. Il y annonçait la mise en place d'un nouvel exécutif qui a obtenu l'appui de la communauté internationale, surtout en Europe et aux Etats-Unis. Les autorités non reconnues finissaient par se rallier. L'arrivée du GNA a ravivé les espoirs d'une sortie de la crise politique, sécuritaire et économique dans laquelle est plongée la Libye depuis la chute de Maâmar El Gueddafi en 2011. Livré aux milices armées et meurtri par les violences, ce pays situé à 300 kilomètres des côtes européennes était gouverné par deux autorités rivales, l'une dans l'Est, l'autre à Tripoli, un chaos permettant à l'EI d'implanter une base dans la ville de Syrte. Mais deux mois après l'arrivée du GNA, les espoirs se sont transformés en déception et en inquiétude. Confiné dans la base navale de Tripoli d'où il gère les affaires et reçoit de hauts responsables étrangers, il peine à pacifier le pays, à chasser les jihadistes de leurs fiefs et à réconcilier les Libyens. Le GNA contrôle plusieurs aéroports, bénéficie du soutien de la Banque centrale ainsi que de la Compagnie nationale pétrolière et dispose de capacités militaires (avions, blindés) ainsi que de l'appui de milices basées dans l'Ouest. Mais il «n'a aucune base dans l'Est» où seule une municipalité, Ajdabiya, le soutient, explique Mohamed Eljarh, expert libyen au Centre Rafic Hariri pour le Moyen-Orient. L'exécutif de M. al-Sarraj se heurte à l'ex-gouvernement reconnu par la communauté internationale, basé dans l'Est, qui refuse de céder le pouvoir sans vote de confiance, maintes fois reporté, du Parlement qui lui est affilié. Ces autorités parallèles contrôlent les régions orientales à l'aide de milices locales et d'unités de l'armée qui leur sont loyales, sous le commandement du général controversé Khalifa Haftar, farouchement opposé au GNA. Pour Mattia Toaldo, spécialiste de la Libye au groupe de réflexion Conseil européen des relations internationales, «la Libye et le gouvernement d'union ont perdu deux précieux mois, faute d'un vote de confiance du Parlement». Il déplore que M.al-Sarraj, très visible sur la scène internationale soit «invisible en Libye» mais surtout «n'ait pas trouvé le temps - ou le courage - de s'adresser à l'Est» pour le rallier à sa cause. Kader Abderrahim, spécialiste du Maghreb et de l'islamisme à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris, souligne lui aussi l'absence préjudiciable d'un vote de confiance du Parlement de l'Est. Le GNA doit «rassembler les Libyens autour d'un projet commun, assurer leur sécurité et entamer des négociations avec les différentes milices afin qu'elles déposent les armes», dit-il. Un processus qui pourrait durer «plusieurs mois». Les clivages avec l'Est empêchent toute lutte unifiée contre l'EI. Les forces du GNA et celles de l'Est sont engagées dans une compétition pour être les premières à lancer l'offensive contre ce groupe extrémiste à Syrte, ville située à 400 km à l'est de Tripoli. Pour mieux lutter les jihadistes, le nouvel exécutif a réclamé la levée de l'embargo sur les armes imposé par l'ONU depuis 2011. Le 16 mai, les grandes puissances se sont engagées à soutenir un assouplissement de l'embargo. La rivalité avec les autorités de l'Est rendent par ailleurs impossible un contrôle unifié des frontières, facilitant le passage de centaines de milliers de migrants vers l'Europe.