Fayez al-Sarraj et son gouvernement d'«union nationale» semblent compliquer la donne en s'ajoutant à deux gouvernements antagonistes Le gouvernement libyen dit «d'union nationale», né en vertu d'un accord parrainé par l'ONU, rend sceptiques les observateurs quant à sa légitimité et sa capacité à opérer face à deux gouvernements rivaux qui le rejettent. Ce gouvernement a été mis en place à la suite d'un accord politique signé fin 2015 au Maroc, sous l'égide de l'ONU, par des députés des deux Parlements rivaux et ce, malgré l'opposition des chefs de ces institutions. Pour être officiellement investi, l'accord stipule qu'il doit obtenir la confiance du Parlement reconnu par la communauté internationale, basé à Tobrouk (est). Après plusieurs échecs faute de quorum, l'entrée en fonction du gouvernement a finalement été proclamée le 12 mars sur la base d'un communiqué de soutien publié par une centaine de parlementaires de Tobrouk (sur 198). «Des membres du Conseil de sécurité de l'ONU estiment qu'une grande majorité des députés du Parlement (reconnu) soutient l'accord politique et le gouvernement (d'union)», explique Olivier Ribbelink, chercheur à l'Institut TMC Asser de droit international basé à La Haye. «Mais sur la forme, les Libyens considèrent ce gouvernement comme illégal», dit-il. Pour Mattia Toaldo, expert au European Council on Foreign Relations, «la légitimité politique et juridique» de ce gouvernement «restera faible tant qu'il n'a pas obtenu un vote au sein du Parlement», même s'il est soutenu par l'ONU et l'Union européenne. Ce gouvernement n'a pour l'instant aucun pouvoir. Il n'est même pas installé en Libye et n'a réuni aucun conseil des ministres, ces derniers étant éparpillés dans différentes régions et même hors du pays. Son Premier ministre Fayez al-Sarraj réside lui entre le Maroc et la Tunisie. «Le fait qu'il se fasse appeler +gouvernement+ ne signifie pas qu'il le soit ou qu'il détienne le pouvoir», résume M.Ribbelink. Ce gouvernement jouissait déjà d'un appui international avant même de voir le jour. Les Occidentaux, alarmés par l'expansion de l'organisation jihadiste Etat islamique (EI) en Libye, souhaitent en effet depuis plusieurs mois voir l'établissement le plus rapidement possible d'un gouvernement d'union pour rassembler les deux autorités rivales. En plus de reconnaître ce gouvernement comme leur seul interlocuteur légitime en Libye, les grandes puissances se sont engagées à lui fournir un soutien financier, voire une assistance militaire pour lutter contre l'EI qui contrôle Syrte (450 km à l'est de Tripoli). Les deux autorités qui se disputent le pouvoir en Libye, l'une à Tripoli et l'autre dans l'est, ont rejeté le gouvernement d'union et l'empêchent d'avoir une quelconque action sur le terrain. Ses ministres n'ont pour l'instant aucun accès aux sièges des ministères à Tripoli ou dans l'est. Selon des médias libyens, le gouvernement d'union compte en fait s'installer à Palm City, un complexe balnéaire dans la banlieue ouest de la capitale. L'Union européenne a déjà envisagé des sanctions - gels d'avoirs et interdictions de voyage - contre des responsables libyens entravant la mise en place du gouvernement d'union. Le gouvernement d'union a annoncé mardi dernier sa volonté de s'installer «dans les tout prochains jours» à Tripoli, où un gouvernement et un Parlement non reconnus par la communauté internationale ont été mis en place après la prise de la capitale à l'été 2014 par Fajr Libya, une coalition de milices dont certaines islamistes. Les Tripolitains craignent maintenant de voir éclater des affrontements entre Fajr Libya et les milices qui soutiendront et protégeront le «gouvernement d'union». «L'entrée (du gouvernement d'union) à Tripoli comporte des risques majeurs pouvant provoquer des affrontements», estime ainsi Mohamed Eljarh, expert libyen au Centre Rafic Hariri pour le Moyen-Orient. «La communauté internationale devrait être prête à lui fournir une protection militaire si besoin est. Est-elle capable d'intervenir si (le gouvernement d'union) le lui demandait?», s'interroge-t-il. Face à la volonté du gouvernement d'union de s'installer rapidement dans la capitale libyenne, les autorités de Tripoli y ont décrété «l'état d'urgence maximal».