Les Algériens jettent quelque chose comme 4 millions de baguettes de pain par jour. Ce ne sont pas les Algériens aisés seulement qui se rendent coupables de ce comportement incivique, mais toute la société. Les Algériens gaspillent pour 40 millions de dollars de pain par an. Ce chiffre, révélé dans une étude de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem), est révélateur de l'ampleur du phénomène qui perdure encore au sein de la société algérienne. Ainsi, l'ensemble des professionnels attestent que les Algériens jettent quelque chose comme 4 millions de baguettes de pain par jour. Sur un mois, le chiffre est à peine imaginable et en période de Ramadhan, il est entendu que l'on peut le multiplier par deux ou trois sans trop de risque de se tromper. Youcef Kalafat, président de l'Union nationale des boulangers, a confirmé cet état de fait en révélant que pas moins de 60 millions de baguettes de pain ont été achetées sans être consommées par les Algériens. Cette impressionnante quantité, jetée à la poubelle, l'a été durant la première semaine de Ramadhan. Cette tendance au gaspillage du pain n'est certainement pas «culturelle». Les Algériens ne sont pas plus dépensiers que les autres peuples. Ils ont «contracté» le virus dans la foulée de l'euphorie socialisante, dont le système reposait et repose toujours sur les subventions des produits de première nécessité. La démarche des pouvoirs publics peut parfaitement s'expliquer et trouve des arguments recevables, sauf que pour le pain, il est clair que le gaspillage est à tous les étages. Ce ne sont pas les Algériens aisés seulement qui se rendent coupables de ce comportement incivique, mais toute la société. Les quantités achetées et non consommées sont tellement grandes que l'on ne peut pas se satisfaire d'une explication du genre «si on augmente le prix du pain beaucoup de familles en souffriraient». Face à cette situation précisément, le gouvernement semble faire la sourde oreille et poursuit sa politique de soutien des prix des céréales, à coups de dizaines de milliards de dinars annuellement. Le gaspillage s'explique d'autant plus difficilement que la facture d'importation des céréales se monte à près de 4 milliards de dollars. La baisse des prix à l'international de ce produit ne couvre pas du tout les subventions publiques et le résultat sur la consommation est visible au quotidien. Le gouvernement ne pêche pas seulement par cette tendance à la subvention qu'il partage d'ailleurs avec pas mal d'exécutifs étrangers, mais le soutien qu'il apporte aux prix n'est pas mu par un souci de rentabilité sociale ou économique. Le blé tendre que consomment les Algériens est importé dans sa quasi-totalité et n'apporte aucune plus-value, en matière d'emploi ou de bien-être. En fait, outre qu'il fait objet d'un gaspillage éhonté, il ne sert qu'à nourrir les Algériens et accessoirement le cheptel ovin et aviaire, derniers récipiendaires de cette subvention à coups de milliards de dinars. Les images qu'offrent les rues des grandes villes du pays contrastent avec la réalité économique et financière de celui-ci. N'importe quel observateur étranger ne comprendrait pas que du pain soit jeté en quantité aussi impressionnante pour un pays qui a perdu près de 70% de ses recettes pétrolières. Le débat sur les subventions, ouvert, par l'ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahia, semble irriter le gouvernement qui tente certainement de joindre les deux bouts, sans avoir à égratigner la politique sociale de l'Etat. Il se trouve cependant, que cette politique tourne à l'exagération sur la subvention appliquée sur les céréales. En effet, même dans le cas d'une remontée significative des prix du pétrole et une poussée remarquable de nombreuses filières industrielles, le maintien en l'état du soutien direct aux céréales reviendrait à cautionner l'immense gaspillage qui sanctionne inutilement le Trésor public au bénéfice des producteurs, le plus souvent, français. La levée graduelle de ces subventions aurait un double impact. D'abord sur le volume des importations, puisque la consommation diminuera, et certainement, sur le gaspillage qui se réduira sensiblement. Les spécialistes qui défendent cette thèse mettent en évidence le succès relatif d'une campagne de sensibilisation, en l'absence de décision concrète sur la réduction de la subvention. Ce qui est valable pour le pain peut aussi l'être sur les carburants, l'électricité, l'eau et autres services soutenus par le budget de l'Etat. Il n'est certainement pas question de lever les subventions du jour au lendemain, mais de graduer l'action du gouvernement sur ce dossier, tout en veillant à ne pas sanctionner les citoyens, disent les mêmes experts. Sauf qu'au vu du salaire moyen en Algérie, l'on se demande la marge dont dispose le gouvernement pour agir dans ce sens. c'est peut-être parce que Abdelmalek Sellal connaît parfaitement cette marge, qui pourrait être très mince, qu'il refuse d'ouvrir le débat des subventions.