Les justifications prêteraient à rire s'il ne s'agissait pas du sort d'un pays martyrisé où on compte, depuis quatre ans, pas moins de 280.000 morts. Publiée par le quotidien Le Monde dans son édition de mardi, une enquête met en évidence les accointances du cimentier Lafarge avec l'Etat islamique en Syrie. Partant des documents fournis par un site d'information syrien proche de l'opposition, Zaman al Wasl, les journalistes du Monde ont interrogé des témoins, notamment des employés de Lafarge, pour étayer leur argumentaire a priori incomplet. Ils ont ainsi pu établir des faits indiscutables et démontré que le groupe avait bel et bien financé «indirectement», pour user d'un vocabulaire pudique, Daesh afin de protéger le fonctionnement de sa cimenterie de Jalabiyeh, au nord-est de la Syrie. Les faits se sont produits en 2013-2014, alors que la cimenterie, rachetée en 2010 à l'égyptien Orascom et considérée comme le plus important investissement étranger hors secteur pétrolier, se trouvait prise dans l'engrenage de la progression des troupes de Daesh. Lafarge s'entête à travailler comme si de rien n'était, mais très vite le passage par les terroristes de l'EI pour les approvisionnements et la circulation des hommes et du matériel sont devenus obligés. C'est ce qu'explique, avec force détails, l'enquête du Monde, en s'appuyant sur deux arguments massifs: 1- Il a bien fallu un arrangement à Lafarge pour acquérir, en échange du paiement d'une «taxe», le droit de passage aussi bien pour ses camions que pour ses employés dans les barrages établis par Daesh sur toutes les voies stratégiques. 2 - A l'examen des documents livrés par Zaman al wasl, il ressort que Lafarge a obtenu la livraison du fuel et du pouzzolane, matière première dans la fabrication du ciment, non directement certes, mais par l'entremise de mandataires de Daesh, évidemment assujettis au paiement d'une quote-part sur les gains engrangés. 3- Plus grave, les documents révèlent une tentative d'approche d'un représentant du groupe auprès d'un haut responsable de l'EI pour des raisons inconnues. Simple «dérive», comme ont tenté de la qualifier certains médias français toujours prompts à dédouaner leurs hommes et à condamner, sans autre forme de procès, tous les autres, cette «zone grise» comme en sont porteurs tous les conflits, disent-ils, témoigne surtout du sens aigu de l'adaptation à l'occidentale, en toutes circonstances. Faites ce que l'on dit et ne vous occupez pas de ce que l'on fait. Les justifications prêteraient à rire s'il ne s'agissait pas du sort d'un pays martyrisé où on compte depuis quatre ans pas moins de 280.000 morts. Que Lafarge s'évertue, au milieu des flots de larmes et de sang, à sauver sa cimenterie au prix d'inavouables compromissions, est de bonne guerre, expliquent, sans honte aucune, ces Caton de l'Hexagone. Mais il ne s'agit pas d'une PME, Lafarge est le numéro un mondial du ciment, depuis sa fusion avec le suisse Holcim et c'est un fleuron du CAC 40. Il a donc financé l'EI pendant un peu plus d'un an, et c'est tout. Faut-il s'offusquer devant les paradoxes à la française auxquels on est habitués depuis les années 1990 et le fameux qui-tu-qui? Pas plus tard que ce mardi, la chaîne d'information continue BFM TV a repris le flambeau, en ce temps-là, de Canal Plus, en qualifiant les éléments de Daesh de «combattants islamiques». Normal, il s'agit de ceux qui tuent en Syrie, en Irak et en Libye. En Europe, ils redeviennent des terroristes!