Le Conseil d'Etat français La France est un Etat de droit et le droit vient donc d'être rendu, comme il se doit, afin de mettre un frein aux dérapages, plus ou moins contrôlés. Le Conseil d'Etat s'est prononcé, hier, contre l'arrêté interdisant le port du burkini pris par le maire de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes). C'est un collège de trois juges qui examinait les requêtes déposées par la Ligue des droits de l'homme (LDH) et le Comité contre l'islamophobie en France(CCIF) contre un jugement en référé rendu le 22 août dernier par des juges du tribunal administratif de Nice, donnant tort aux deux associations qui réclamaient son annulation de toute urgence. Selon l'ordonnance du Conseil d'Etat, la décision du tribunal administratif de Nice est annulée et l'exécution de l'arrêté de Villeneuve-Loubet s'en découvre suspendue. Dans cette commune, le port du burkini ou de toute autre vêtement à connotation religieuse sur la plage est donc parfaitement légal. Cette ordonnance est loin d'être un arrêt de principe. Elle fait, en effet, jurisprudence et impacte, pour peu qu'il y ait d'autres recours, tous les autres arrêtés de même nature qui seront systématiquement «cassés» par la plus haute juridiction française. Il suffit, pour s'en rendre compte, d'en lire quelques lignes: «L'arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle.» De jure, la sentence va s'imposer à l'ensemble des tribunaux administratifs, d'une part, et elle constitue une mise en garde implicite à tous les maires tentés de suivre l'exemple de Christian Estrosi, à Nice, ou celui du maire de Cannes où s'est déroulée la scène du déshabillage d'une musulmane sur une plage de la ville par la police municipale, suscitant une virulente critique dans les pays anglo-saxons, aux Etats-Unis et même en Australie. Le Conseil d'Etat rappelle, à ce sujet, que la dizaine de maires qui ont suivi la démarche équivoque d'Estrosi, en invoquant le respect de la laïcité, ne peuvent se baser sur des «considérations autres que l'ordre public», c'est-à-dire «le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l'hygiène et la décence» pour prétendre interdire l'accès aux plages. Evidemment, la décision du Conseil d'Etat a été accueillie avec un énorme soulagement par les deux organisations qui ont interjeté appel. Pour le Cfcm, l'ordonnance qui fait désormais autorité en la matière constitue «une victoire du droit» et de «la sagesse». L'intense débat qui a agité la France autour du bannissement du burkini avait suscité un fort sentiment d'inquiétude et une tension croissante chez la communauté musulmane, forte de 5 millions de personnes, au point que le Cfcm avait sollicité, jeudi, une audience auprès du ministre de l'Intérieur, chargé des cultes. L'image de la femme humiliée par les policiers municipaux à Cannes aura eu un impact considérable, illustrant l'ampleur du climat islamophobe qu'attisent volontiers des hommes politiques tels que le candidat Sarkozy et de nombreux élus du parti Les Républicains, convaincus que le thème de l' «identité» est un fonds de commerce idéal pour piétiner les plates-bandes du Front national. D'ailleurs, est-ce un hasard si les 22 municipalités - la France en compte 36.529! - qui ont emboîté le pas aux maires de Nice et de Cannes se trouvent majoritairement en Provence-Côte d'azur où on compte la plus importante communauté de rapatriés «pieds-noirs»? Le vent de la haine et du racisme souffle aussi fort que le mistral, dans ces eaux-là. Vécue comme une provocation manifeste, cette action policière a blessé l'ensemble de la communauté musulmane dont la très grande majorité n'est pas adepte d'un prosélytisme religieux, mais ne pouvait ignorer le sens et l'importance du message que le tout dernier discours de Sarkozy a eu le mérite d'expliciter haut et fort. Sur les 24 communes ayant pris un arrêté antiburkini ou autres tenues «portant atteinte à la laïcité», seules deux ont procédé à des verbalisations, Nice et Cannes qui cumulent à elles seules 30 procès-verbaux dressés. 24 à Nice, six à Cannes. Et si toutes ces mairies abondent dans le discours selon lequel les verbalisations se sont toujours déroulées «sereinement», les témoignages des propos «venimeux» et des gestes «déplacés» font florilège depuis quelque temps, dans les réseaux sociaux. De peur d'être distancé, le Premier ministre Manuel Valls a apporté son «soutien» aux auteurs de ces arrêtés mais il y a eu des couacs dans son équipe puisque deux ministres, Najet Vallaud Belkacem et Marisol Touraine ont dénoncé une «dérive» liberticide. Cela étant, la France est un Etat de droit et le droit vient donc d'être rendu, comme il se doit, afin de mettre un frein aux dérapages, plus ou moins contrôlés, de toute une faune de politiciens en maraude qui affûtent les armes pour 2017, certains de séduire un maximum d'électeurs grâce à une surenchère aiguisée avec le FN.