Les consultations ont débuté en mars dernier Au premier rang des censeurs de l'Islam et des musulmans, un Manuel Valls mû par des considérations extra hexagonales, dénoncées l'an dernier par le seul Roland Dumas à qui on a, aussitôt, imposé un silence sépulcral. Depuis la fin des années 1980, le statut de l'Islam en France n'a pas cessé de nourrir des débats passionnés, mais guère passionnants. Car la question de fond a toujours été occultée. Une reconnaissance de la deuxième religion du pays implique nécessairement la révision de la stratégie et de la gestion des lieux de prière par l'Etat. Or, celui-ci a toujours préféré laisser faire les pays d'origine des franges les plus importantes des communautés immigrées et de leur descendance. On se souvient des «batailles» homériques autour de la Mosquée de Paris, du temps de Cheikh Hamza Boubakeur. Revenu à l'Algérie, ce haut-lieu de l'Islam en Europe occidentale n'a retrouvé une sérénité relative qu'avec la direction de Cheikh Abbas Bencheikh el Hocine puis de Cheikh Tidjani Haddam. Dans les années 1990, alors même que l'Algérie était confrontée au terrorisme grandissant et aux fourches caudines du FMI, la promotion inattendue de Dalil Boubakeur, adoubé des deux côtés de la Méditerranée, a donné à croire que le temps d'un Islam strictement français était bel et bien venu. C'était sans compter sur les calculs de plusieurs pays trouble-fêtes tels que l'Arabie saoudite, finançant la mosquée d'Evry, ou le Maroc ne désespérant jamais de s'emparer du sceptre cultuel. Dans un tel méandre, les coups étaient divers et nombreux, comme le racontait voici un an à peine, dans un livre-mémoire, un des acteurs français de ces grandes manoeuvres. Ainsi, deux décennies durant, l'Islam en France a poursuivi son chemin, les lieux de culte passant de quelques centaines à plus d'un millier actuellement, ainsi que le nombre des imams dont la plupart oeuvrent pour la Mosquée de Paris et celle concomitante de Lyon. C'est dans le sillage du printemps arabe que la question du statut de la deuxième religion en France, forte de plus de 5 millions de personnes pratiquantes et non pratiquantes, s'est de nouveau imposée, sous les coups de boutoir, il est vrai, d'une extrême droite usant du racisme et de la xénophobie à satiété. Alors que le pays traverse une crise sans précédent, où le chômage et la précarité ont atteint des proportions dramatiques, le débat a peu à peu dérivé vers la thématique identitaire, le Front national bientôt imité par la droite agitant de plus en plus le spectre d'une guerre des civilisations. Avec le champignon de la peur et l'angoisse du lendemain, ils ont réussi à atteindre des scores qui galvanisent les formations extrémistes dans bon nombre de pays européens. Les attentats de Paris puis de Bruxelles ont achevé de noircir le tableau. Aux mots brutaux d'un Sarkozy qui a repris à son compte toute la panoplie des slogans de campagne des Le Pen, sont venues s'ajouter pêle-mêle les surenchères verbales et autres de nombreux élus obsédés par leur propre campagne électorale et par le risque d'être supplantés dans leur circonscription par des candidats FN. Entre 2012 et 2017, les coups les plus meurtriers sont venus...de la gauche socialiste, ou du moins supposée telle. Au premier rang des censeurs de l'Islam et des musulmans, un Manuel Valls mû par des considérations extra hexagonales dénoncées l'an dernier par le seul Roland Dumas à qui on a aussitôt imposé un silence sépulcral. Aujourd'hui, explique le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, «l'objectif est de faire émerger de manière volontariste, dans le respect de la laïcité, dans le dialogue et le respect mutuel, un islam de France ancré dans les valeurs de la République». Après avoir porté le choix sur l'ancien ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, initiateur du Cfcm, il opte pour un état-major composé de quelques membres de cette instance auxquels s'ajoutent quatre autres «personnalités qualifiées» qui siègeront au conseil d'administration de la fondation, notamment l'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun et le recteur de la grande mosquée de Lyon (centre-est) Kamel Kabtane. Compte tenu de la séparation entre l'Etat et les cultes dans le pays, conformément à la loi de 1905, la «Fondation pour l'islam de France» ne traitera que des questions profanes comme l' éducation, la recherche, la formation civique... Reste le volet crucial du financement (formation théologique des imams, construction de mosquées...) pour lequel on a imaginé qu'il relèvera d'une association cultuelle administrée par des représentants musulmans, et dans laquelle l'Etat ne sera pas partie prenante. En bannissant les financements étrangers, l'Etat veut suppléer au manque à gagner grâce à la contribution des acteurs de la filière hallal, un domaine qui a déjà suscité par le passé des joutes presque sanglantes. Mais Bernard Cazeneuve se veut optimiste, face à un tonneau des Danaïdes qui reste, bon gré mal gré, tributaire de la représentativité réelle des nombreux acteurs qui se pressent au portillon et dont rares sont ceux qui ont la gueule de l'emploi...