L'armée syrienne progresse rue par rue à Alep Tiraillés par les rivalités violentes de leurs alliés iranien et saoudien, Moscou et Washington s'efforcent de préserver leurs intérêts et de moduler les crises... Lundi, la fin de la trêve, difficilement conclue entre les deux grandes puissances américaine et russe, s'est accompagnée le jour même par une reprise violente des combats, surtout à Alep. Toutes les parties au conflit sont de nouveau engagées: le régime du président Bachar al Assad qui a dénoncé «une agression» des Etats-Unis dont 90 soldats syriens ont été victimes, les factions rebelles et terroristes conjuguées, les forces turques face aux Kurdes du PYD et bien sûr leurs différents alliés russes, iraniens, saoudiens et autres. La Pax russo-americana éteinte, reste la question cruciale de la manière dont les choses vont évoluer au cours des prochains mois. D'abord, la situation des rebelles à Alep et Idleb où les bombardements ont repris. La majorité des groupes avait accueilli l'accord avec une moue sceptique et la milice islamiste Ahrar el Cham l'avait même désavouée. Le fait que la Russie et les Etats-Unis leur aient réclamé, dans les termes de l'accord, une nette distanciation avec Fateh al Cham, anciennement Al Nosra considérée comme la branche d'Al Qaïda en Syrie avant son changement d'appellation, a sans doute posé problème car si les lignes de démarcation dans le sud de la Syrie et à Damas sont à peu près claires, tel n'est pas le cas au nord, surtout à Alep et Idleb où tous les groupes combattent dans une seule et même faction, dite «l'Armée de la conquête», les éléments de Fateh al Cham étant à la pointe du combat depuis qu'ils ont réussi à briser l'encerclement des quartiers rebelles d'Alep en juillet dernier. Des tractations ont eu lieu pour sceller une union de tous les groupes et c'est ce qui a alerté les Etats-Unis, inquiets de la tournure des évènements et de la montée en puissance de Fateh al Cham, considéré par Damas et Moscou comme un groupe terroriste au même titre que Daesh. Reste à savoir qui, au plan régional, a intérêt à une telle conjonction des groupes rebelles pour résister à l'offensive du régime à Alep Est? La déclaration du président Bachar al Assad à Darraya, ville reconquise en août dernier, indique clairement que le régime n'a pas renoncé à son premier objectif, la libération de la Syrie tout entière de l'emprise des factions terroristes, rebelles et autres. Fortement engagée contre Daesh, notamment dans l'est, l'armée syrienne a fait de Deir Ezzor la bataille ultime dans la mesure où une victoire signifierait la fin de l'EI et, probablement, de nombreux autres groupes terroristes, en Syrie. Deir Ezzor libérée, c'est la route de Mossoul qui s'ouvre automatiquement aux combattants chiites syriens et irakiens face à un Daesh laminé. En attendant, la situation à Alep n'a pas changé. Non seulement, la démilitarisation de la route stratégique du Castello, au nord d'Alep n'a pas eu lieu comme le prévoyait l'accord, mais les convois d'aide humanitaire n'ont pas eu accès aux quartiers rebelles, un but convoité par les initiateurs de la trêve. L'attaque des positions de l'armée syrienne par l'aviation de la coalition montre bien que la suspicion américaine est grande, le Pentagone connaissant parfaitement les positions des uns et des autres ainsi que le mouvement des avions de chaque camp. Parler d'«erreur» en la circonstance relève de la mauvaise foi, surtout que les stratèges du Pentagone ont accueilli fraîchement les efforts du secrétaire d'Etat John Kerry pour arracher cet accord à son homologue russe Sergueï Lavrov. Le manque de sincérité que les Américains reprochent promptement aux Russes est-il ainsi le reflet de leur propre état d'âme. La tentative de l'administration Obama de parvenir à une trêve souffrait au départ d'une mauvaise compréhension de la nature et des objectifs des mouvements islamistes qui composent en majorité la «rébellion» en Syrie. Le fait que les forces spéciales américaines aient été chassées dimanche de la localité d'Al Raeï, arrachée à Daesh par les troupes turques, illustre la méfiance dont ces formations rebelles reçoivent le soutien des Etats-Unis. Autre handicap, l'entente cordiale Lavrov - Kerry cache mal les antagonismes entre les deux grandes puissances, notamment en rupture sur l'Ukraine et les rapports de force militaire en Europe centrale. Tiraillés par les rivalités violentes de leurs alliés iranien et saoudien, Moscou et Washington s'efforcent de préserver leurs intérêts et de moduler les crises au fur et à mesure des affrontements en Syrie. Mais outre l'Iran et l'Arabie saoudite qui s'affrontent pour une question de leadership régional, se pose le rôle de la Turquie, beaucoup plus complexe et tributaire de la dynamique kurde. Pour Ankara, le régime Al Assad n'est plus l'ennemi numéro un, et son armée a investi Kobané, Afrin et Jézirah pour contrer les velléités du PYD, une «branche syrienne du PKK» affirme-t-elle. Par-delà un engagement formel contre Daesh, la stratégie d'Erdogan consiste à empêcher l'émergence d'une région autonome kurde dans le nord de la Syrie, option apparemment soutenue par les Etats-Unis. Ce qui complique davantage l'équation et rend hasardeux un pronostic sur la tournure des évènements. Bachar al Assad, avec l'aide des alliés russe et iranien, reste une pièce maîtresse du puzzle syrien. Quant à Daesh, le caractère contradictoire des intérêts de toutes les parties au conflit et leur fixation sur d'autres priorités lui offrent une chance inespérée de reprendre du poil de la bête, voire même de rallier à son combat des groupes rebelles déçus par les manoeuvres des différentes puissances empêtrées dans le bourbier syrien.