Un quassas aïssaoua qui vit son temps et n'hésite pas à se ressourcer dans l'art universel. Depuis qu'il était jeune, Zine Eddine Benabdallah n'avait qu'une seule et unique idée en tête : faire connaître au grand public le véritable visage et les réelles traditions des Aïssaoua. D'ailleurs, il se présente lui-même comme quassas (conteur) de cette confrérie qui continue de susciter les commentaires les plus extravagants de la part d'une opinion qui a fini par perdre ses repères. Se sentant isolé, sans appui, il créa l'association Al Akikia, avec pour ambition la relance et la promotion de l'art aïssaoua. Un art qui représente pour lui ainsi que pour l'ensemble de ses adeptes, une dimension culturelle et même civilisationnelle authentique et généreuse. Dans un contexte caractérisé par une régression qui a touché tous les domaines et pulvérisé toutes (ou presque) les bonnes volontés, l'objectif que s'est fixé ce grand artiste semble pour beaucoup irréalisable. Comment susciter l'intérêt d'un public pris en otage par les marchands de rêves et de faux tubes «jetables» pour la traditionnelle «hadra» et les chants soufis des Aïssaoua? Même s'il a pris conscience que le challenge n'est pas de toute facilité, Zine Eddine Benabdallah, et par le biais de l'association Al Akikia, insiste pour continuer à transmettre la tradition aïssaoua, et contribue à faire préserver ses dimensions mystiques et spirituelles. Ni l'environnement hostile ni les contraintes ne semblent le décourager ; se considérant, légitimement d'ailleurs, l'un des rares disciples, l'unique élève du maître incontesté des Aïssaouas à Constantine, le défunt Mohamed Bendjelloul, Zine Eddine Benabdallah se voit porter un lourd héritage qu'il n'abandonnera pas. Il en a conscience. Alors, il persévèrera, comptant sur son talent de chanteur à la voix sublime. Le premier forum maghrébin aïssaoua organisé à Constantine, le mois de novembre dernier par l'association Al Akikia, a permis à l'artiste de constater lui-même l'écho favorable que le commerce de ce genre d'art a suscité auprès du public. La soirée artistique organisée au Palais de la culture Malek Haddad avec la participation remarquée de la troupe tunisienne Essalamia a drainé la grande foule. Des dizaines de personnes n'ont pu accéder à la salle de spectacles. Ce premier succès ne lui a pas monté à la tête. Artiste accompli, ayant grandi dans une famille imprégnée d'art et de culture, il a su garder les pieds sur terre. Réaliste, il estime tout bonnement que le chemin reste long et qu'il faudra doubler d'effort pour arriver à réconcilier le grand public avec ses racines, son identité et son authenticité. Toute cette expérience de voir l'art aïssaoua occuper le devant de la scène, ne l'a pas empêché d'être moderniste. Un quassas aïssaoua qui vit son temps et qui n'hésite pas à se ressourcer dans l'art universel au milieu des années 90. Il tenta plusieurs expériences afin d'apporter de nouvelles touches modernistes au malouf. Hélas, le contexte social ne s'y est pas prêté et sa tentative est demeurée en suspens. Aujourd'hui, et plus que par le passé, sa motivation, il la tire des souvenirs qu'il garde de son père qui était un fidèle compagnon du cheikh H'ssouna, considéré comme un des plus grands maîtres des Aïssaouas. L'amour pour ce genre musical, il le tire de la tendresse que lui a toujours inspirée sa mère, fille d'un des membres les plus influents de la confrérie. La très forte influence qu'il a subie dans son milieu familial durant les années 60 et 70 ne s'est guère rétractée. Bien au contraire, elle s'est paradoxalement renforcée avec cette invasion culturelle tous azimuts. Artiste jusqu'au bout des ongles et humaniste avec une sensibilité à fleur de peau, il ne veut pas lâcher son ambition : donner au medh et aux chants mystiques, une dimension internationale. Son amour pour Constantine et pour l'Algérie, c'est de cette manière qu'il le conçoit et veut le concrétiser, loin de tout chauvinisme. Cependant, il est une réalité qui l'attriste et provoque parfois sa colère. La chute libre des valeurs morales et le recul du niveau culturel dans le milieu artistique qui sont pour lui autant de facteurs contraignants qui bloquent toute initiative vers l'évolution. C'est un mal qu'il vit. Un mal qu'il compte combattre artistiquement parlant.