Un événement exceptionnel a été vécu par l'Algérie. En effet, près de 140 ans après une déchirure béante dans son flanc, du fait d'une colonisation inhumaine et d'une politique de la terre brulée, des Algériens autochtones et du bout du monde se sont rencontrés, se sont embrassés, ont pleuré en communion sur ce sol béni d'Algérie qui a vu se succéder huit envahisseurs de passage qui, pour la plupart, ne lui ont laissé que la sueur, le sang et les larmes pour avoir voulu par la force conquérir la terre et tenter de ruiner ainsi ce faisant des identités millénaires. Le propos n'est pas, ici, de faire le procès de la colonisation, mais il faut bien convenir que les dégâts causés à notre inconscient collectif sont de loin plus importants que les dégâts matériels causés par les colonnes infernale de tous les Bugeaud qui se sont succédés. S'il faut saluer comme une avancée significative dans le travail de «mea culpa» la reconnaissance du fait du génocide du 8 Mai 1945. Faut-il attendre, encore 50 ans après la reconnaissance du fait de guerre en Algérie, pour ouvrir «le livre noir du colonialisme». Nous voulons dans le calme et la sérénité faire ce travail de mémoire et pourquoi ne pas le dire, de deuil pour toutes les vies fauchées ou brimées, le plus souvent à la fleur de l'âge. Combien de catastrophes, de «nekba», de «shoah», l'Algérie a t-elle connues durant la période coloniale? Pourquoi cette chape de plomb sur ces événements des déportations successives de la sève algérienne coupable d'avoir refusé de plier devant le talon de fer ou encore le sabre et goupillon? C'est dire si le solde de tout compte avec l'ancienne puissance coloniale venu ne peut être fait. Souvenons-nous que l'envahisseur se prévalant du mythe de «la race supérieure» incanté par les Gobineau, Renan et Ferry de force et par «devoir» est venu, nous civiliser un beau matin de juillet de 1830 et au passage s'emparer du trésor de la Casbah de près de 200 milliards d'euros. Ce fut, dit-on, une expédition lucrative. Non seulement, la France n'a pas voulu honorer une dette contractée par le Directoire en France, en 1791 auprès du Dey Hussein pour acheter du blé mais de plus, a tout fait pour que l'expédition se fasse. Louis XVIII voulant à la fois plaire à Dieu en se posant en champion de la chrétienté mais, de plus, faire diversion pour tenter de conjurer une révolte intérieure qui couvait. En tout cas, ces Algériens du bout du monde, nos frères de sang sont devenus Français, par la force des choses. Ils sont près de 15.000 qui essaient de maintenir avec beaucoup d'amour la flamme de la mémoire. Christophe le Jeune, Abdelkader et Laïfa plus âgés sont venus témoigner avec une rare dignité au nom des autres enfants de leur attachement viscérale à cette mythique Algérie. Ils nous ont dit avec des mots simples en s'excusant presque de déranger d'être chez eux avec une trop forte émotion et des larmes de reconnaissance de pouvoir fouler cette terre bénie dont ont été privés tant des leurs, tant des nôtres. Avec des mots simples, ils nous ont dit des choses terribles, ils n'avaient pas le droit de garder pour beaucoup d'entre eux leur nom d'Algériens. Par la force des choses et des suites d'un pouvoir concentrationnaire inhumain, beaucoup de ces Algériens moururent pendant la traversée qui durait des semaines et des semaines. Les survivants savaient qu'ils ne reviendraient plus dans la patrie de leur père. Alors avec leur dignité, avec toute la force de leur identité, voire de leur religion, ils ont entretenu de génération en génération l'amour sublimé de cette Algérie que l'on apprécie que quand on est loin d'elle. Alors de père en fils, de mère en fille, on désigne quelqu'un pour perpétuer la langue et l'apprendre aux suivants. Cette entreprise de ressourcement continuel devenant de plus en plus difficile, les constituants de l'identité culturelle sont menacés d'extinction par un environnement qui ne fait pas de place à l'identité originelle. Il faut voir dans ce voyage de ces éclaireurs, un appel au secours pour l'identité menacée. Devons-nous leur tourner le dos, les recevoir, leur dire des mots gentils, voire sincères et les voir partir peut-être pour la dernière fois? Il faut être reconnaissant aux initiateurs des fameuses émissions qui nous ont, il faut bien le dire, remués au plus profond de notre âme, alors dans un chaos indescriptible les chansons de nos mères sur le bagne nous reviennent en mémoire, une fameuse chanson sur El Menfi le déporté, raconte par le menu, le chemin de croix et la détresse du déporté qui, dans un ultime et dérisoire geste d'amour, dit à sa mère de ne pas le pleurer; Goul al yamma ma tabkich. Non, il serait dommage de les voir sans raffermir les liens distendus par la distance et l'histoire. Pour le repos de notre conscience, de leur conscience, il nous faut inventer une façon de se tenir la main par-delà les 22.000 km qui nous séparent. Il nous faut renforcer cette flamme balbutiante de l'Algérie qui trésaille dans leur coeur. Il nous faut les convaincre que les Algériens restés au pays ne sont pas ingrats. Plus que tous les autres, ils respectent pieusement le cri d'outre-tombe des ancêtres qui ne veulent pas mourir définitivement du fait de l'oubli. Pour cela, il nous faut faire preuve d'imagination pour inventer une présence de ces Algériens de coeur du bout du monde ici et de l'Algérie là où ils vivent. D'une certaine façon, il faut peut-être capitaliser les activités culturelles de l'Année de l'Algérie en France en mettant à la disposition de ces Algériens de coeur toute la production culturelle de l'Algérie. De plus, toujours dans un cadre transparent, ne serait-il pas possible de profiter du formidable atout que sont les nouvelles technologies de l'information et de la communication (Ntic) de penser, dans un premier temps, à une Maison de l'Algérie virtuelle, par la mise à disposition d'un site qui abriterait en continu tout ce qui peut intéresser ces frères du bout du monde pour les conforter dans la certitude qu'ils ont fait le bon choix en refusant la fatalité de la dissolution culturelle. En tout cas, c'est un défi qui vaut la peine d'être lancé. Nous verrons alors et sans verser dans l'utopie, un remembrement de la mémoire «Algérie» disloquée par le «tsunami» de l'invasion puis de la colonisation inhumaine. Il ne sera pas difficile, une fois la machine mise en marche, de faire preuve d'imagination de part et d'autre afin que réellement la prochaine génération se sente réellement chez elle en Algérie, que la distance soit abolie et que ce qui était au départ un handicap, soit par la force des choses, une chance pour porter la voix apaisée et sereine de cette aimée et souffrante Algérie à l'autre bout de la terre.