Le ministre français des Affaires étrangères a estimé, dans une interview accordée au JDD (le Journal du Dimanche) que les relations entre les deux pays ne connaîtront d'apaisement qu'après l'arrivée d'une nouvelle génération au pouvoir en Algérie. Les relations politiques algéro-françaises viennent-elles de subir un enterrement de première classe? Bernard Kouchner, qui s'est taillé une réputation somme toute plus que méritée de spécialiste de l'intervention toutes voiles dehors dans les politiques menées ailleurs que dans son propre pays - une ingérence mise au point et peaufinée par l'ancien président français, François Mitterrand, qui inventa en 1989, au détour des événements de Timisoara en Roumanie, le «droit d'ingérence» - vient sans doute de franchir la ligne rouge. Si en effet, il était presque, de bonne guerre et dans un climat aussi délétère entre les deux Etats, attendu que la France campe sur sa position de maintenir l'Algérie sur la honteuse liste noire des «pays à risque» - après que son ministre des Affaires étrangères ait essuyé de la part des autorités algériennes le refus d'être reçu à Alger le mois dernier - il était beaucoup moins attendu que Kouchner fasse des commentaires peu amènes, à peine voilés, sur ses gouvernants actuels. On savait que le chef de la diplomatie française n'avait pas sa langue dans la poche, mais là, il faut reconnaître qu'elle a vraiment fourché, pire, a dérapé. «La génération de l'Indépendance algérienne est encore au pouvoir. Après elle, ce sera peut-être plus simple», a-t-il déclaré au journaliste du JDD qui le questionnait au sujet des relations entre l'Algérie et la France, qui sont passées ces derniers mois par des zones de très fortes turbulences. On peut légitimement penser, aujourd'hui, qu'un nouveau pas dans l'impéritie vient d'être franchi par le chef de la diplomatie française. Un fossé que seules les 132 années d'une colonisation féroce, qui eut recours à des procédés d'anéantissement de la condition humaine, peuvent expliquer: expropriation, enfumades, torture, bombardements au napalm, utilisation de cobayes humains pendant les essais nucléaires dans le Sud algérien... «Nos rapports ont été à ce point sentimentaux, violents et affectifs que tout est très difficile et très douloureux. L'Algérie a été vécue comme française en France, quand elle était colonie de peuplement», s'est défendu le ministre français des Affaires étrangères. Des cicatrices, des plaies béantes qui ne pourront se refermer et qui se traduisent en minicrises diplomatiques. Des souvenirs à peine refoulés et qui ressurgissent à la moindre occasion. Dès que la mémoire est sollicitée. Bernard Kouchner veut jouer sur le temps pour passer l'éponge. L'addition est cependant par trop forte, la dette trop lourde pour être effacée et encore moins oubliée. Les Algériens ne sont pas et ne peuvent pas être amnésiques. A quoi auront servi les sept années et demie de la guerre de Libération qui sont, de façon indélébile, gravées, rattachées, pour l'éternité, à des symboles sacrés. Aux sacrifices de jeunes femmes et de jeunes hommes qui ont pour noms Hassiba Ben Bouali, Didouche Mourad, Amirouche, Maurice Audin, Larbi Ben M'hidi...Tous ont connu une mort atroce. Torturés, assassinés, exécutés. La liste est longue, trop longue. Ce sont eux qui ont fait l'histoire de l'Algérie indépendante. Une histoire que ne peut oublier ni la présente génération ni celles à venir qui auront pour mission de prendre en main les destinées de l'Algérie de «Demain». Comme elles ne pourront oublier qu'un jour l'Algérie fût portée de manière unilatérale et injuste sur une liste de pays à risque terroriste. «C'est une norme de sécurité et l'Algérie n'est pas seule en cause. Les Algériens sont choqués, et c'est vrai qu'ils se battent courageusement contre Al Qaîda. Mais nous appliquons les règles de sécurité», a fait justifier le chef de la diplomatie française pour innocenter la position de la France quant au maintien de l'Algérie sur la liste des pays désignés comme étant susceptibles d'être dangereux pour la communauté internationale. Cette «application» exige-t-elle que nos frères et soeurs qui voyagent en France soient déchaussés, voire déshabillés, dans les ports et aéroports français? De fait l'interview du chef de la diplomatie française fait écho à celle du ministre algérien des Affaires étrangères qui s'est exprimé il y a quelques jours dans les colonnes du Monde. «Il y a des dossiers qui font mal», avait alors confié Mourad Medelci au quotidien français. «L'Algérie n'a pas à être sur cette liste. C'est inacceptable et nous ne l'accepterons pas», a fermement souligné le chef de la diplomatie algérienne. Faut-il s'attendre à une réponse énergique du gouvernement algérien? A moins qu'Alger ne décide de garder le silence, une autre forme de réponse, consistant à ne pas envenimer davantage des relations qui ont sérieusement pris du plomb dans l'aile. En tout état de cause, nous sommes loin, très loin des déclarations que faisait le même Kouchner en mai 2008 lorsqu'il affirmait: «Nos relations avec le Maghreb passent par l'Algérie», à l'occasion de sa visite à Alger. Il s'adressait aux mêmes responsables qu'aujourd'hui.