Le gouvernement et les syndicats campent chacun sur sa position Deux points de vue d'un économiste et d'un syndicaliste. Ceux-ci arrivent à se mettre d'accord sur un point, mais pas sur l'essentiel: la genèse du déficit de la CNR qui reste illisible pour le moment. La question de la réforme des retraites risque de conduire à des troubles sociaux ingambe. Car le gouvernement et les syndicats autonomes qui contestent sa démarche campent sur leurs positions et chacun, chiffres à l'appui, présente les arguments qu'il estime en sa faveur. «Si nous avons décidé de réformer le système des retraites, c'est parce que celui mis en place depuis 1997 n'est plus adapté au contexte actuel. Et par cette réforme, nous ne voulons ni plus ni moins que reprendre le système d'avant 1997, et ce, dans le souci d'assurer l'équilibre de la Caisse nationale des retraites. Dans cet ancien système que nous allons reprendre, le ratio des cotisations était de loin meilleur; il y avait au moins sept employés qui cotisaient pour une seule pension versée, avec l'actuel système, cette pension est assurée par à peine trois cotisants. Donc, notre choix est juste», a déclaré récemment le Premier ministre. Mais, Noureddine Bouderba, ex-syndicaliste, spécialiste des questions sociales, renverse la table sur le gouvernement, chiffres à l'appui. «Le nombre de cotisants actifs pour chaque retraité est passé de 2,7 en 1998, à 3,1 cotisants pour un retraité. Certes, il y a eu un sommet en 1990 où ce taux était de 5,7 cotisants pour un retraité, mais il a fortement baissé les années suivantes à cause du chômage. [...]Les contributions des salariés au financement de leur retraite a doublé en taux depuis le début des années 2000. En fait, ils payent eux-mêmes le départ au bout de 32 années de cotisations sans condition d'âge. De ce point de vue ce départ à la retraite avant 60 ans devient un droit et l'Etat ne peut pas le toucher car ce n'est pas lui qui le finance», a-t-il déclaré dans une émission sur Radio M.Belkacem Boukhrouf, économiste, se dit d'accord avec Bouderba sur le droit à la retraite après 32 ans de services. «Bouderba a raison. Le calcul fait qu'au bout de 32 ans, on considère que le salarié a «auto-financé» sa retraite,» estime-t-il. Néanmoins, M.Boukhrouf considère que «le ratio de cotisation est faible» et que le système des retraites actuel n'est pas soutenable à ce rythme. Toutefois, s'il est vrai que le déficit existe, sa nature n'est pas très claire et Bouderba considère que cela n'est pas dû au système de retraite actuellement en vigueur mais une mauvaise gestion de la CNR. «Il existe deux gisements à exploiter pour rééquilibrer la CNR:le secteur privé formel qui, selon l'enquête de l'ONS de 2013 indique que sur 3 millions de salariés dans le secteur privé, il y a 2266.000 qui ne sont pas affiliés et le taux d'emploi en Algérie qui est très faible, représentant un taux d'activités globales de 41%, voire de 42%,» affirme-t-il. Or, estime-t-il, le gouvernement, au lieu de pousser ceux qui piétinent les lois de la République à rentrer dans les rangs, à savoir ceux qui évoluent dans l'informel, fait des pressions sur les employés. Cette «stratégie de l'autruche» que le gouvernement semble adopter «souverainement» ne vise-t-elle pas à satisfaire les intérêts étroits de quelques groupes d'intérêt nationaux ou étrangers comme le suggère Louisa Hanoune? Oui, estime Belkacem Boukhrouf. «Il y a une volonté du gouvernement à montrer patte blanche vis-à-vis des partenaires étrangers, notamment les bailleurs de fonds. La flexibilisation du système de retraite est attendue par les multinationales qui ne s'accommodent plus de relations de travail rigides. De nouvelles formes d'emploi, de nouveaux index pour les salaires, une nouvelle conception des retraites caractérise la plupart des réformes des économies en voie de libéralisation accrue,» ajoute-t-il. Nouredine Bouderba a également rappelé que la retraite anticipée a été une suggestion du FMI et que, contrairement à ce qu'avancent les pouvoirs publics, elle n'a pas connu un afflux important et que ce n'est pas l'application de la retraite anticipée qui a provoqué le déficit de la CNR. La preuve? «Le directeur de la CNR affirmait encore en janvier 2015 que les comptes de sa caisse étaient tous au vert», a-t-il rappelé. De plus, selon lui, «le rapport établi par le Cnes indique que sur les 400.000 qui ont été dégraissés du secteur économique dans les années1990 il n'y a eu que 40.000 qui sont partis à la retraite anticipée, seulement 10% de 1994 à 2000», ce qui remet en cause la soutenabilité de la thèse gouvernementale. «Lorsqu'ils parlent de 800.000 travailleurs qui émargent à ce dispositif de la retraite avant l'âge légal, ils oublient de dire que plus de 50% de ces anciens cotisants ont maintenant plus de 60 ans et auraient dans tous les cas bénéficié de leur pension de retraite. De même, le ministre ne dit pas que les supposés 405 milliards de dinars que coûteraient les deux dispositifs de retraite en manque à gagner pour la caisse sont un chiffre cumulé depuis 1997», a-t-il également soutenu. Entre le radicalisme du syndicaliste et celui du gouvernement, Belkacem Boukhrouf essaie de placer quelques grains de rationalité économique. «Le propre des économies croissantes, est d'améliorer les dispositifs de stabilisation sociale comme la couverture sociale, l'assurance maladie et la retraite. Ceci renforce le principe de la solidarité intergénérationnelle et motive les cotisants, qui verraient la ponction comme un investissement dans l'avenir. Le mieux était de chercher la vraie raison de l'équilibre, les grandes catégories d'allocation des pensions de retraites pour agir en conséquence. Deux pistes doivent être étudiées. La première est celle de renforcer les ressources de la caisse en captant la main-d'oeuvre informelle pour assurer un ratio de cotisation élevé. La deuxième est de réviser et, disons, rationaliser, le fonds spécial des retraites destiné aux hauts cadres de l'Etat qui grève sérieusement la CNR et menace sa santé financière,» a-t-il indiqué en précisant qu' «il convient de rationaliser le fonctionnement de la CNR, notamment en réduisant son coût de fonctionnement, réduire les allocations des hauts cadres de l'Etat qui prennent un gros lot du fonds des retraites et veiller à la démocratisation de l'accès à la retraite».