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Le cinéma tunisien en force!
5OE ANNIVERSAIRE DES JCC
Publié dans L'Expression le 05 - 11 - 2016


Scène du film Thala mon amour
Thala mon amour de Mehdi Hmili, Demain dès l'aube de Lotfi Achour et enfin The last of us de Alaeddine Slim ont drainé un monde fou dans les salles.
Nous avons presque oublié cette année l'attentat de l'an dernier tant les salles bondées de monde nous ont fait oublier ce triste souvenir. Mais à regarder un peu mieux dans la ville, Tunis est toujours sous haute surveillance. Les chars disséminés çà et là, les soldats munis chacune de sa Kalachnikov sont bien visibles, y compris à l'entrée des salles comme le Colisée. Dépassé le portique de celle-ci, un sas avec scanner, comme à l'aéroport, vous oblige d'y faire passer vos affaires. Le public qui s'agglutine n'a pas trop de choix que celui de la bousculade quand arrivé devant la grande porte, celle-ci au lieu d'être grandement ouverte est à moitié fermée. Résultat des courses: l'on filtre à l'intérieur à la hâte et cela conduit forcément à une débandade indescriptible. Néanmoins, malgré ce désordre bien remarqué on ne peut omettre l'incroyable enthousiasme du public qui accourt vers les salles toutes sections ciné confondues. Une affluence et des salles qui ne désemplissent pas du matin au soir. Parmi les films qui ont fait salle comble à guichets fermés par deux fois suite c'est incontestablement le tout nouveau long métrage de Mehdi Hmili, Thala Mon amour.
Janvier 2011
Le film relate l'histoire d'un jeune militant qui s'est évadé de prison pendant la révolution tunisienne et a rejoint sa ville natale, Thala, pour rechercher sa fiancée Houriya. Celle-ci a été capturée, torturée et violée. Habitant Kasrine, elle refait sa vie avec un nouvel homme tout en travaillant à l'usine où les femmes sont surexploitées. Son mari désapprouve son militantisme, tandis que son épouse, elle, veut à tout prix aller manifester et rejoindre Tunis «où tout a commencé et se finit». Le héros du film est un militant qui a déjà participé à l'insurrection du bassin minier en 2008. à sa sortie de prison, désabusé, il ne pense qu'à une chose, retrouver Houria et refaire sa vie. Pour lui, ce pays est à la dérive et rien ne pourra sauver sa peau, si ce n'est s'enfuir à la montagne avec sa bien-aimée. Mais quand il finit par la retrouver celle-ci ne voit pas les choses de la même façon. Elle décide de tout plaquer, jette son anneau de mariage, demande à son amoureux de la quitter et ainsi leurs directions vont se séparer définitivement. Intéressante proposition que développe Mehdi Hmili, ce film aborde le point de vue différent de deux résistants aux idéaux qui vont diverger au bout du compte quand il les met face à eux-mêmes et leur complexité humaine sans pour autant les juger. Un peu trop romantique peut-être est la manière dont la révolution est traitée dans l'esprit de cette femme par le cinéaste. Mais sans doute pour marquer le désir de vengeance. Faire tomber le système équivaut à se faire et faire justice, à sa propre dignité bafouée, sur le plan social, y compris intime et psychologique. La comédienne crève l'écran. Mehdi Hmili dépeint une femme qui n'a de source d'information que l'outil d'Internet exacerbant sa soif de liberté et d'indépendance. Le long métrage parvient avec humour et brio à dépeindre cette peur qui existe au sein de la société tunisienne saignée par les réflexes des indics. Cette phrase dite par cet acteur de petite taille en dit long sur le système policier jusque-là très présent en Tunisie: «Il y a le pouvoir en haut et le peuple en bas et c'est comme ça. La Tunisie se porte bien...» Pour paraphraser Ben Ali. La mère de cet homme qui refuse, lui, de s'impliquer dans la «révolution» est campée par la grande comédienne Fatma Ben Saidane, admirable dans son jeu comme à chaque fois. Ici les femmes sont belles et rebelles et symbolisent véritablement le courage de la mère patrie qui s'est soulevée comme un seul homme. Mais l'intérêt du film réside dans le regard du sceptique qui a aussi sa propre analyse de la situation et son mot à dire. Mehdi Hmili qui a exprimé sa volonté de réaliser une oeuvre sincère qui parle aux Tunisiens sous un angle nouveau, a su restituer cette ambiance d'espoir qui a régné au tout début en la mêlant à une histoire d'amour aux rebondissements inattendus... Autre film tunisien projeté cette semaine et dont le titre (rappelant un poème de Victor Hugo) épouse parfaitement l'âme de ces magnifiques cadrages et plans est Demain dès l'aube de Lotfi Achour. Le film a pour point de départ la nuit du 14 janvier 2011. Des manifestants sont coursés par la police. Ils partent se-cacher dans un immeuble quand le couvre-feu est décrété. Trois amitiés se forment. Une journaliste alias Anissa Daoud, une immigrée franco-tunisienne et un jeune oisif de 15 ans. Ce dernier décide de sortir après un long moment passé à l'intérieur de l'immeuble. Il est arrêté par un policer qui se met à le violenter jusqu'à l'arrivée de cette journaliste qui tue cet homme en sauvant le jeune adolescent de ses griffes. Quelques années plus tard, cette femme qui se met à fréquenter un policier découvre que son père est cet ancien chef policier qui a perdu la mémoire après avoir été frappé à la tête lors de cette funeste nuit. Un jour, la journaliste rentre dans sa chambre et se met face à lui et lui dit qui elle est. Surgit du passé cette «mémoire sale» que d'aucuns n'ont pas encore résolu en Tunisie. Victime ou bourreau, la loi est la loi et quiconque commet un crime est susceptible d'emprisonnement. Ceci en théorie. En pratique c'est plus compliqué que cela. Un tabou que ce film arrive à soulever avec audace et courage en racontant l'histoire d'une légitime défense qui se transforme en crime impuni. Où en sont les dossiers aujourd'hui? Les criminels de la révolution ont-ils été punis? Un questionnement légitime que soulève ce film dans une Tunisie encore bouillonnante et loin d'être apaisée, mais qui réapprend à vivre tout doucement et on l'espère sûrement. Réparer les corps ne suffit pas, il reste qu'il faille réparer les mémoires pour réhabiliter cette révolution et ne pas la trahir, semble indiquer ce film.
Femme courage
Demain dès l'aube, qui filme les gens de Tunis, s'en va poser sa caméra dans un village où par le truchement de l'incursion d'un journaliste télé vraisemblablement islamiste, dénonce l'arrivée de ces gens durant cette période-là. Sensible et délicat, le long métrage Demain dès l'aube, témoigne également d'un discours bien contrasté qui se veut loin d'être manichéen, mais poussant l'affrontement dans le dialogue quand la tension atteint son paroxysme. Il sait se faire doux quand la lumière humaine se fait spleen, doute et remise en question. Demain dès l'aube est un film beau autant que l'est la mansuétude de la mélancolie avant le sursaut. Enfin, un 3e film tunisien projeté également la semaine dernière est de l'auteur du documentaire Babylone. Première fiction du réalisateur Alaeddine Slim, intitulé The last of us, ce film ovni a été présenté cette année à la semaine de la critique à la Mostra de Venise où il a été primé «Mario Serandrei - Best Technical Contribution «(La meilleure contribution technique) et a remporté également le Prix de la première oeuvre: Le lion du futur «Premio Luigi de Laurentis» au prestigieux festival international. De ce fait, sa projection au JCC était fort attendue. S'il y a bien une chose que Alaeddine a de commun avec notre Tariq Teguia est la dilatation du temps et son pendant le sentiment de vertige anxiolytique qui en découle. Non pas que le film nous assomme, mais bien au contraire, agit comme un long exercice de méditation poussant à la relaxation. Le son en est pour beaucoup. A l'image du réalisateur, ce film nourri au langage cinématographique des plus parlants, donne à voir un homme noir, qui arrive au milieu de nulle part, en pleine nature. Dans cette Terre où il réapprend à vivre et à se défendre, ce «survivor» croise un jour un vieux qui soignera ses blessures sans échanger un mot. Car faut- il le signaler ici, exit le verbe, seul compte le langage universel de l'image, avec les expressions faciales et le mouvement de l'acteur. Parlant de celui-ci qui incarne ce nouvel homme de Cro-Magnon, il est tout simplement sublime et magnifique de justesse dans son interprétation rappelant quelque peu un Di Caprio dans The Revenant. Faisant corps avec la nature, cet individu gagne un ami qui va le suivre dans ses pérégrinations. Etait-ce une lune ou un halo de lumière protecteur? Nous ne le savons pas et qu'importe, seule compte la poésie de l'image que dégage cette atmosphère à la fois douce et hostile que dépeint ce film et cela relève de la rareté au cinéma. Rien que pour ça, ce film est un bijou impressionnant et fort insaisissable. «Je vis sur la planète cinéma et pas dans le cinéma tunisien... le timbre folklorique ne m'intéresse pas...», confie le réalisateur Alaeddine Slim. Tout est dit.


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