" Enseigne une langue, tu éviteras l´absurdité d´une guerre. Répands une culture, tu rendras un peuple auprès d´un autre populaire " Noaim Boutanos Le clergé, y compris les séculiers et les réguliers, comptait 912.000 hommes sur une population masculine adulte ne dépassant pas 3 millions d´hommes, espérait peut-être convertir un plus grand nombre de Maghrébins. Sous l´influence de son confesseur l´archevêque de Tolède Francisco Ximénes de Cisneiros (1436 - 1517), Isabelle se consacra à la réorganisation du clergé castillan. Elle joua sans doute un rôle capital dans la création de l´Inquisition en Castille en 1478, dans la reconquête à des fins religieuses et politiques du royaume de Grenade (1481 - 1492), dans l´expulsion des Juifs de Castille le 31 mars 1492 et dans l´appui à Christophe Colomb, le 17 avril 1492 dans sa recherche d´un accès aux Indes par la voie de l´Atlantique. En 1501, à la suite des mesures d´intolérances avérées qu´avait prises le Cardinal Ximénes, les Maures d´Espagne se soulevaient dans les Alpujarras et la Sierra Vermeja. Les Rois Catholiques préparaient de ce fait pour mettre fin à ce problème, " l´édit d´expulsion " qui devait être promulgué en février 1502. Cet arrêté était aussi géré politiquement, puisque l´Espagne pour éviter la coalition des Musulmans, envoie un ambassadeur en Egypte au Caire en 1501 et qui sut obtenir un traité neutralisant toute coalition musulmane.(9) Au début du XVIe siècle, les " nouveaux Chrétiens "; convertis descendants des Musulmans d´Espagne, formaient dans certaines villes en Andalousie et à Valence, une partie essentielle de la population. Il en est de même en Catalogne et en Aragon, où ils formaient de fortes colonies. L´Eglise espagnole a toujours considéré avec suspicion ces convertis. Pour elle, convertis ou pas, ils demeuraient fidèles aux croyances du Coran. Aussi, les arguments ne manquèrent pour persécuter ces Morisques; l´Inquisition invoque les relations de ces Morisques avec leurs parents, Maures d´Afrique qui les aident dans leur résistance religieuse, la possibilité que ces Morisques pourraient aider les pirates barbaresques en étant auprès d´eux, des guides dévoués et avertis. Pour L´Eglise, et le pouvoir espagnol, il s´avérait primordial de séparer les Morisques des Maures. Pour cela, la possession des côtes du Maghreb s´avérait une nécessité.(6). Dans la continuité de la politique d´expulsion, plus d´un siècle plus tard, la haine pour les Musulmans était toujours aussi tenace. C´est ainsi qu´en 1609, fut décrétée l´expulsion définitive des Musulmans (les Morisques). L´"entreprise" dura jusqu´en 1614. Elle mobilisa cinquante mille soldats et toute la flotte. Comme l´écrit Le Bon : " On eut soin de s´arranger de façon à ce que la plupart fussent massacrés pendant l´émigration. L´excellent moine Bléda assure avec satisfaction qu´on en tua plus de trois quarts en route ".(10) " Dans une seule expédition, qui en conduisait 140.000 en Afrique, 100.000 furent massacrés. En quelques mois, l´Espagne perdit plus d´un million de ses sujets. Sédillot et la plupart des auteurs estiment à trois millions le nombre de sujets perdus par l´Espagne, depuis la conquête de Ferdinand jusqu´à l´expulsion définitive des Maures ". Auprès de pareilles hécatombes, la Sainte Barthélémy n´est qu´une échauffourée sans importance, et il faut bien avouer que parmi les conquérants barbares les plus féroces, il n´en est pas un ayant eu d´aussi cruels massacres à se reprocher. Il est inutile d´ajouter que ces massacres étaient non seulement connus de l´Eglise de Rome, mais que de plus, le clergé espagnol n´hésita pas à exciter l´ardeur des tortionnaires dans leurs basses besognes.(10) On rapporte d´ailleurs, que des milliers de Maures furent évacués par des navires appartenant à la marine de la Régence d´Alger. Il fut permis, semble-t-il, aux musulmans qui voulurent se réfugier au Maghreb de prendre le temps nécessaire pour vendre leurs propriétés et choisir les navires. Ce fut l´exode des Andalous et des Tagarins qui furent accueillis dans les grandes villes d´Algérie et apportèrent un raffinement sans égal. Certaines familles d´origine peut-être andalouses gardaient, dit-on, pieusement la clé de leurs demeures laissées en Espagne, " Afous el andalous ", espérant retourner un jour dans cette mythique Andalousie. Les causes de la poursuite de la Reconquista Le fanatisme religieux, la passion de convertir, le désir de repousser les frontières de l´Islam, ont dès la fin du XVe siècle, durant tout le XVIe siècle, poussé les Espagnols à intervenir dans les pays musulmans d´Afrique du Nord. Pour ce faire, une idée de la continuité de ces nouvelles Croisades (plus de deux siècles après la dernière de Saint Louis), le Roi d´Espagne Ferdinand le Catholique répète à plusieurs occasions qu´il lutte pour le " service de Dieu ", qu´il agit par zèle à l´endroit de " notre sainte religion ", qu´il attaque " les ennemis de la sainte foi catholique ". Comme l´écrit de Castries: " Ferdinand et Isabelle eurent à continuer leur Croisade pour atteindre au-delà de la Méditerranée, ces infidèles qui étaient venus si souvent au secours de leur frères d´Espagne ". Fernand Braudel écrit à ce propos : " Le fanatisme religieux, la passion de convertir, le désir de repousser les frontières de l´Islam ont dès la fin du XVe siècle, durant tout le XVIe siècle, poussé les Espagnols à intervenir dans les pays musulmans d´Afrique du Nord. Instinctivement, pour désigner ces entreprises, le mot commode de croisade vient sous la plume, on ne s´est pas fait faute de l´employer bien des fois ".9 Pour de Castries : " Ferdinand et Isabelle eurent à coeur de continuer leur croisade pour atteindre au-delà de la Méditerranée ces infidèles qui étaient venus si souvent au secours de leurs frères d´Espagne "(11) L´Espagne moderne En 1505, Mers El Kebir est prise, et de 1508 à 1511 s´étend la période des campagnes sanglantes de Pedro Navarro. En 1508, il s´empare du pénon de Velez à Alger, et en 1509, c´est, dit-on, par une trahison que les Espagnols, avec Ximénes et Navarro pénètrent à Oran. Bougie tombera l´année suivante. Pour en revenir aux Croisades de proximité de l´Espagne, le zèle prosélyte du cardinal espagnol Ximénes l´amena à envisager des projets grandioses tels que l´installation dans les villes d´Afrique d´Ordres militaires organisés sur le modèle des Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem. L´Ordre de Saint Jacques devait être établi à Oran, celui d´Alcantara à Bougie et celui de Calatrava à Tripoli.(12) Il ne faut pas oublier que l´entreprise d´envahissement de l´Algérie (Oran, Mers El Kébir, Bougie et Alger ), durant près de trois quarts de siècle, a toujours conservé le caractère d´une entreprise religieuse, d´une sorte de croisade permanente dans laquelle le fameux cardinal Ximènes a joué le rôle de catalyseur. Berbrugger précise d´ailleurs le rôle de cet homme d´Eglise en écrivant : " Le cardinal Ximènes mérite d´être illustre dans la postérité, ne fût-ce que par sa pensée d´arracher l´Afrique septentrionale à la barbarie musulmane pour y faire triompher le christianisme et la civilisation ".(13).Nous laissons le lecteur apprécier à sa juste valeur les propos sans demi-mesure de cet auteur probablement en phase à la même période avec Ernest Renan le chantre français de l´idéologie de la supériorité de la race blanche sur les races sémitiques. Idéologie qui a fait le lit du nazisme... La défaite de l´Invincible Armada contre l´Angleterre prélude du déclin. En 1814-1833 : Ferdinand VII, aidé par l´intervention française en 1823, établit une monarchie absolue et perd les colonies d´Amérique. En 1931 : la république est proclamée. En 1936 : en février, le Front populaire gagne les élections. En juillet, le soulèvement du général Franco marque le début de la guerre civile. De 1939 à 1975 : Franco est chef d´Etat à vie, gouverne avec un parti unique et organise un Etat autoritaire. En 1955 : l´Espagne entre à l´ONU. Parallèlement, elle connaît, dès la fin des années 1960, une modernisation économique rapide. Enfin en 1975 : Franco meurt. Juan Carlos Ier devient roi d´Espagne. Il entreprend la démocratisation du régime. Un pays magique et curieux, quatre langues officielles: le catalan, le basque, le galicien, et le castillan sont parlées. Dans la Constitution de 1978, l´Espagne est proclamée monarchie parlementaire. La Constitution proclame l´union indissoluble de la nation mais reconnaît et garantit le droit à l´autonomie des nationalités et régions qui composent l´Etat. Il existe actuellement 17 communautés autonomes. Chaque Communauté a sa propre capitale et une structure politique basée sur une assemblée législative élue par suffrage universel. Les domaines appartenant à la juridiction exclusive du gouvernement national incluent: la politique extérieure ; la défense ; la justice ; la législation criminelle, commerciale et du travail; le commerce extérieur, les finances et la sécurité publique. L´organisation politique espagnole peut être, pour notre pays, une source d´inspiration. Dans les années soixante-dix, l´Espagne qui était un pays d´émigration, notamment en France, commence à se développer rapidement. Son adhésion à l´Union européenne a contribué pour une large part à cette richesse. Cependant, l´Espagne a au cours des années 90 mis en place avec les fonds européens un système de radar " le Sive " pour surveiller à partir de ses côtes espagnoles, les rares " pateras " qui tentent de passer le détroit au péril systématique de leur vie. Est-ce là le pays qui a vu des Maures venir lui apporter huit siècles de prospérité et de tolérance? S´agissant des relations avec l´Algérie, l´histoire retiendra que l´empereur Charles Quint signa un traité d´amitié avec Kheir Eddine Barberousse contre François 1er. Pourtant quelques années plus tard en octobre 1541, la dernière expédition de Charles Quint avec "l´invincible armada" tourna au désastre. La flotte fut décimée près de l´oued El Harrach. Des pluies diluviennes eurent raison de plus de deux cents bateaux. Il faut savoir aussi que pour être restée une cinquantaine d´années à Béjaïa et près de trois siècles à Oran et Mers El Kébir, l´Espagne partage par la force des choses avec l´Algérie une culture. Un personnage qui a marqué la littérature espagnole a séjourné à Alger de 1575 à 1580, capturé par la flotte de la Régence. Il s´agit de Miguel de Cervantes de Savedra. Bien qu´il ait été correctement traité dans l´attente de la rançon de 500 louis d´or que sa famille n´a consenti à payer qu´au bout de 5 ans. On se souvient que Cervantes participa à la bataille de Lépante en 1571 et il y garda une haine tenace de l´Islam. Ainsi, parlant des Algériens, il écrit qu´il est incompréhensible que ces chiens de musulmans nous laissent suivre notre religion sans nous inquiéter. Nous partageons avec l´Espagne par Andalous et Tagarins interposés un raffinement qui a fait les grandes heures de villes comme Tlemcen, Béjaïa, Alger et Constantine. Le moment est peut être venu de développer cette dimension culturelle en érigeant à Oran un Institut de la Mémoire, plus sûr pont entre les hommes. On pourrait aussi et concomitamment penser à mettre en oeuvre l´apprentissage de l´arabe et du berbère présent, dans les îles Canaries. Il ne faut pas laisser de vide, la nature en a horreur. On pourrait penser aussi à la mise en place d´un lycée en Espagne à Madrid et à Grenade. Huit siècles de vie commune et 3 siècles de plus s´agissant d´Oran et de Mers El Kebir autorisent tous les espoirs et la confiance dans un avenir commun, celui d´une "Mare Nostrum" porteuse de tous les rêves de coexistence pacifique. La visite du président de la République et, celle prochaine du roi Juan Carlos, après celle de la reine Sophie, doivent, de notre point de vue, être des moments privilégiés pour les relations entre les deux pays. Il est nécessaire et indiqué de ne pas limiter les rapports avec l´Espagne qu´à leur seule dimension commerciale ou sécuritaire. Il faut aller vers plus de culture, de science et de mémoire commune. Les relations culturelles, bien qu´elles ne soient pas des produits marchands, restent cependant de loin chargées de signification sur le devenir des sociétés et peuvent, ce faisant, contribuer à un apaisement pour conjurer le péril du choc des civilisations. 9. F. Braudel, Revue Africaine.vol.69, p184, (1928). 10. Gustave Lebon : Histoire de la civilisation des Arabes. Réédition Sned. (1978) 11. De Castries : Les sources inédites de l´histoire du Maroc. Archives d´Espagne. t.1, 8e, Paris. (1921). 12. H. de Grammont : Quel est le lieu de la mort d´Aroudj Barberousse ? Revue Africaine. Vol. 21, p.14. (1878) 13. Berbrugger : Le pégnon d´Alger ou les origines du gouvernement turc en Algérie, Alger, (1860)