Alors que Paris est sur la voie de la repentance, le général Schmitt « remet ça ». Le général Maurice Schmitt, ancien chef d'état-major des armées françaises, vient de qualifier de « pure invention » les accusations de torture durant l'été 1957, formulées contre lui par d'ex-militants du Front de libération nationale (FLN), notamment Louisette Ighil Ahriz et, tout dernièrement, la nièce du commandant Azzedine. Ce chef d'état-major, aujourd'hui âgé de 75 ans, est, encore une fois, mis en cause dans la pratique de la torture pendant la Bataille d'Alger. Particulièrement, à travers des témoignages dont le quotidien français Le Monde s'est fait l'écho. «Tout ce qu'ils disent est pure affabulation (...). Il n'y a pas eu de séances de torture», insiste le général, soulignant que les témoins cités dans le journal français, «arrêtés tous simultanément le 6 août 1957 au matin, auraient été dénoncés par leurs chefs». «On n'avait rien à leur demander», a-t-il expliqué sur la radio publique France Inter, ajoutant: «C'est une pure invention des gens qui veulent se venger, 48 ans après les avoir fait tomber en les piégeant par la ruse.» «Seulement, a poursuivi le militaire, s'ils disent maintenant qu'ils ont parlé sans être torturés, évidemment tout s'écroule autour d'eux.» «En août 1957, nous n'avons pas eu besoin de l'employer», a-t-il dit, reconnaissant cependant que «la torture a été employée» en Algérie à d'autres moments. Selon les témoignages recueillis par Le Monde, le général Schmitt, qui était à l'époque lieutenant, «a dirigé lui-même les opérations» au premier étage de l'école Sarony d'Alger. Deux de ces témoins affirment également qu'une jeune fille, Ourida Meddad, est morte après être tombée d'une fenêtre. Déjà en 2001, le général Schmitt, chef d'état-major des armées de 1987 à 1991, avait été accusé par d'anciens militants du FLN d'avoir ordonné et dirigé des tortures à l'été 1957, dans cette même école. Il avait alors qualifié ces accusations de «tissu d'affabulations et de contrevérités». En 2003, un ancien appelé, Henri Pouillot, avait affirmé avoir assisté à de nombreuses scènes de torture ainsi qu'à des viols, alors qu'il était en poste à la villa Susini à Alger, de juillet 1961 à mars 1962. A la suite de ces déclarations, le général Schmitt avait traité l'ancien appelé de «criminel» et de «menteur» et avait été condamné en appel pour «diffamation» en octobre 2004. Auteur de deux livres, le général Schmitt est engagé dans deux procédures judiciaires, dont l'une avec Louisette Ighil Ahriz, et dont le dossier sera réexaminé par la justice à l'automne prochain. Auparavant, le procès en appel du général, condamné pour diffamation en première instance contre Ighil Ahriz, a été reporté au 17 mars 2005. L'affaire du général Schmitt et la torture «remontent à la surface» et coïncident avec le 43e anniversaire des Accords d'Evian célébré cette année sous le sceau de nouvelles orientations de rapports algéro-français et l'Accord d'amitié projeté entre les deux pays qui ne peut manquer de faire penser à un nouveau départ, dont Evian avait esquissé les fondements. Il en ressort que des tortionnaires de la Guerre d'Algérie refusent toujours le principe de repentance. Alors que des officiers français, à l'instar de Son Excellence, M.Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France en Algérie, qui a rendu hommage aux victimes du 8 Mai 1945, traduisent tout le «travail de mémoire» déjà entamé par les autorités françaises. Ce qui est qualifié d'«un grand pas sérieux et appréciable de la part de ces dernières, dans l'attente qu'un jour, l'Etat français décide enfin de présenter au peuple algérien des excuses officielles...» Jusque-là, le parquet de Paris, qui a jugé que «le général Schmitt avait moins le droit qu'un autre de se tromper», a appelé à la reconnaissance de la torture en Algérie. Non sans reconnaître le témoignage de Louisette Ighil Ahriz «qui est émouvante de sincérité, sa douleur et sa souffrance sont poignantes». Le procès intenté au général Schmitt est une pièce importante d'un combat inachevé, celui de lever l'obstacle pour mieux vivre ensemble. On ne peut pas construire un avenir commun sur les reniements d'atrocités commises au nom du peuple français. Au-delà d'un acte de justice, c'est une oeuvre en faveur du combat contre le racisme parce que je suis de ceux qui pensent que, dans la persistance du racisme antimaghrébin et singulièrement antialgérien, il y a un élément tenace, celui de cette amnésie, de ce refoulement et de la non-reconnaissance de l'histoire coloniale. Cette non-reconnaissance de la torture entretient les logiques de revanche. «Que le président de la République et le Premier ministre français condamnent officiellement la torture», clamait-on en France, en 2003 déjà.