Que reste-t-il de ces valeurs et de cette éducation à l'ère du modernisme et de la modernité ? Tous les natifs d'une de ces lointaines contrées de Kabylie savent que chez ces gens-là on ne badine pas quand il s'agit de l'honneur et du respect du plus âgé. Que reste-t-il de ces valeurs et de cette éducation à l'ère du modernisme et de la modernité ? Pour se rendre à Aghbalou, il faut emprunter une route sinueuse ne pouvant contenir qu'un véhicule. Défoncé par les aléas du temps, ce chemin de wilaya qui monte, traverse plusieurs hameaux. C'est le lycée qui apparaît le premier. Ce chef-d'oeuvre architectural se dresse et surplombe la verte vallée de la Soummam. Tazmalt, Akbou... autant d'agglomérations apparaissant au loin à travers les filets de buée qui s'évaporent au fur et à mesure que le soleil emprunte son arc quotidien. En entrant par l'oues, c'est la place publique qui vous tend les bras. Des jeunes s'adonnent à une partie de football. Le match est ponctué d'arrêts répétés. Au passage d'un adulte, les bambins marquent une pause pour céder le passage. «Thajmaâth» qui sert de lieu de détente, de concertation, de réunion est improvisée en stade en attendant la construction d'une aire de jeu adaptée. La présence de voitures immatriculées en France montre, s'il le fallait, que la majorité des familles de ce village dépendent de l'étranger. Rares sont les ménages qui n'ont pas un ou deux membres immigrés. Le manque de moyens de distraction nuit considérablement aux valeurs des plus âgés. Ce que les scientifiques identifient comme un conflit de générations se vit au quotidien. L'oisiveté et la routine ont poussé les jeunes à chercher une occupation et à fuir la dure réalité de la vie dans ces coins isolés. L'alcool, les stupéfiants, la prostitution sont autant de maux qui sont apparus dans ces contrées où jadis, regarder une fille passer s'assimilait à un crime et était passible d'une sévère sanction. L'autorité parentale tend à s'atténuer. Le rêve véhiculé par la parabole, l'émergence d'une catégorie de jeunes ayant côtoyé l'université et structurés dans la dynamique du mouvement citoyen, a poussé les natifs à braver l'interdit et à tenter de s'imposer dans un milieu, où il y a quelques années, seuls les adultes avaient leur mot à dire. Ces «vieux» qui ont connu la révolution, qui ont longtemps vécu sous le joug colonial ont appris à subir sans rechigner. La nouvelle génération, elle, ne veut pas de cet état de fait. Elle veut s'imposer et être maîtresse de sa destinée, de son avenir. L'Etat n'a rien fait. Sentant la marginalisation, les jeunes ont rejeté violemment les dernières élections. N'est-ce pas là un moyen d'expression collectif? Individuellement l'esprit égoïste a pris le dessus sur la collectivité. Les vieux tentent de remédier à ce sentiment en organisant «Thimachrat». L'action consiste à égorger des veaux et à répartir la viande équitablement entre les villageois. Certes, l'entraide et la solidarité restent intactes mais sont éphémères. La nature n'a pas favorisé le lieu. Perché sur le flanc est du Djurdjura, les habitants continuent à entretenir les quelques lopins de terre accessibles. La majorité des terres sont rocheuses et couvertes de forêts denses. La formule de revalorisation des terres, initiée dans la région de Taghzout, plus à l'ouest, constitue une aubaine pour des montagnards qui tiennent à leurs origines, surtout que l'inexistence d'une quelconque industrie avantage l'agriculture. L'apiculture, qui est considérée comme créneau pour de richesses, est exploitée par quelques personnes qui recourent à des moyens traditionnels et qui souffrent de la mévente du produit. La revalorisation des terres en concession est une expérience réussie ailleurs, pourquoi ne pas l'adopter? A l'époque des hautes technologies, ce village souffre d'un manque immense en moyens de communication. Le téléphone cellulaire a désenclavé la région. Pour rallier les villes et villages aux alentours, plusieurs jeunes ont acquis, dans le cadre des aides Ansej, des fourgons qui assurent les navettes vers Chorfa, Tazmalt... Cette opportunité a doublement influé sur la vie du village. Les rues et la place sont désertes toute la journée. Seuls les vieilles et les vieux peuplent les lieux et lui donnent un âme. A la nuit tombante, le centre culturel, unique structure réservée aux jeunes, offre un espace mais avec des moyens dérisoires. La tradition veut que les filles restent à la maison. C'est pour associer la gent féminine que ce centre ouvre ses portes la journée et a aménagé des ateliers de couture, de broderie et autres activités exclusivement féminines. L'espoir entretenu de voir la région renouer avec la vie chez les plus âgés est confronté au scepticisme des jeunes gagnés par la lassitude et qui voient l'avenir sous d'autres cieux. Ainsi est faite la vie quotidienne au village de feu Amirat Slimane.