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"Le ministre de la Santé a réagi comme il se doit"
MOUSSA OUDJEHANI, PHARMACIEN DES HÔPITAUX À PARIS, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 21 - 12 - 2016

Loin des émotions médiatiques, des slogans ravageurs ou de procès d'intention nous avons recueilli l'avis d'un professionnel de terrain. Pharmacien des hôpitaux au Centre hospitalo-universitaire Henri-Mondor en France, le docteur Moussa Oudjehani, décortique le fâcheux épisode de «Rahmet Rabi».
L'Expression: Docteur vous avez suivi avec beaucoup d'intérêt la polémique du complément alimentaire «Rahmet Rabi» qui a fait couler beaucoup d'encre. On aimerait bien connaître votre avis en tant que chercheur en pharmacologie
Moussa Oudjehani: Oui, comme tout citoyen algérien et professionnel de santé, j'ai suivi avec intérêt le déroulement de cette affaire, mais, il faut planter le décor. De toute façon, ce produit n'est pas un produit de santé, c'est-à-dire, ce n'est pas un médicament. Il n'a pas été agréé par les autorités de santé, il n'a pas été prescrit par les médecins comme médicament antidiabétique, ni dispensé par les pharmaciens comme tel non plus. Donc ce sont les patients qui se l'ont procuré par leurs propres moyens en dehors du circuit habituel de la prise en charge médicamenteuse du diabète, ni des règles établies en médecine. Il faut avouer qu'ils ont pris un gros risque pour leur santé. En effet, si on prend le cas du diabète de type 2, l'évolution est lente et souvent à bas bruit. Donc, les objectifs du traitement sont de réduire et normaliser le taux de sucre dans le sang (glycémie) afin de prévenir les multiples complications connus du diabète.
Vous disculpez le ministre de la Santé dans cette affaire en affirmant qu'il ne pouvait rien dans l'affaire du RHB.
Dans l'intérêt du patient, les autorités de santé ont bien réagi en procédant au retrait du RHB dans les pharmacies. Par ce retrait, on coupe court à tout amalgame par rapport aux vrais produits médicamenteux. Ensuite, certains médias ont reproché au ministre de la Santé d'avoir reçu le promoteur du RHB. Supposons que le ministre refuse de le recevoir et que plus tard, il s'avère que ce produit est bon pour la santé, les critiques seraient d'une autre nature, on aurait dit que le ministre ne soutient pas l'innovation. Il faut être objectif, lorsqu'une personne présumée promoteur d'un nouveau produit pharmaceutique, de surcroît algéro-algérien, vient taper à la porte du ministère de tutelle, il est normal qu'on lui ouvre les portes.
Mais il y a le bénéfice du doute, une vérification, une enquête préalable, il y va de la santé publique, docteur...
Le bénéfice du doute par rapport à quoi? Le RHB n'est pas un produit pharmaceutique, il a fait une intrusion dans le domaine de la santé sans que personne l'attende là. Je dirai qu'il est passé sous le contrôle des radars. Mais grâce à la vigilance de l'Ordre des pharmaciens et du syndicat des officines, ce produit a été intercepté à temps. L'instance ordinale et l'organisation professionnelle des pharmaciens ont alerté les autorités de santé et ces dernières ont fait ce qu'il faut. Je l'ai dit plus haut, les autorités de santé n'ont pas agréé le RHB comme médicament. Le ministre de la Santé prend ses décisions sur la base de ce que les experts lui conseillent et transmettent. Dans ce cas d'espèce, aucune demande d'autorisation de mise sur le marché comme médicament, n'est demandée pour ce produit. Donc pour répondre à votre question, les autorités de santé vont vérifier quoi? Et lorsqu'elles ont évalué que ce produit peut être délétère pour la santé des Algériens, elles l'ont stoppé.
En tant qu'observateurs de l'autre côté de la Méditerranée, comment avez-vous trouvé le traitement médiatique de cette question?
Je pense que ça a pris des proportions démesurées. Il ne faut pas que notre tissu industriel de la pharmacie soit entaché de doute à cause de cette affaire. Ce secteur est très sensible. Nos besoins en médicaments vont s'accroître à cause de l'allongement de l'espérance de vie et du vieillissement de la population. Je relève aussi que certains veulent faire croire que l'Algérie a autorisé un vrai faux médicament, or ce n'est pas vrai!
Pour vous les professionnels de santé, retirer des médicaments s'appelle la pharmacovigilance. Mais avez-vous eu à faire, en France, au cas du complément alimentaire?
Vous touchez du doigt un problème qu'on rencontre fréquemment. Pour différentes raisons des retraits de médicaments, il y en a tous les jours. Pour résumer, un médicament est retiré du marché lorsque sa balance bénéfice/ risque est défavorable où il s'avère dangereux pour la santé des patients. Ce sont des procédures de pharmacovigilance que nous maîtrisons et qui rentrent dans notre exercice ordinaire. Pour les compléments alimentaires, comme le bénéfice attendu est subjectif et n'est pas mesurable, son retrait se fait au regard de son potentiel nocif ou toxique pour le consommateur. Pour cette raison, le fabricant doit déposer la formule détaillée de son produit au Centre national de toxicologie, et au besoin, on examine cette composition pour proposer un antidote en cas d'intoxication aiguë par exemple. Le retrait des compléments alimentaires reste rare par rapport aux médicaments.
Cette affaire soulève un sérieux problème d'éducation thérapeutique. Comment parer à cela?
Ah oui, il faut que tous les acteurs s'y mettent, à savoir les autorités, les professionnels de santé, les associations de malades, et votre aide vous, les médias,...on doit s'atteler à délivrer des messages simples, mais pertinents pour les patients. Beaucoup d'études ont montré que lorsque les patients ne croient pas en leur traitement médicamenteux, ils n'adhèrent pas à ce traitement, ils ne se l'approprient pas, Bref ils ne le respectent pas donc au bout c'est l'échec, c'est-à-dire, pas de guérison et/ ou aggravation. Et c'est surtout vrai pour les pathologies qui évoluent à bas bruit comme le diabète, à l'inverse les patients respectent et observent mieux les traitements qui soulagent la douleur par exemple, car il y a un effet perceptible immédiatement. L'éducation en matière de santé doit porter sur un ensemble d'actions pour que chaque patient soit un acteur actif dans la gestion de son traitement et aussi favoriser son observance.
Comment peut-on éviter ce genre de problème à l'avenir?
Il ne faut pas que les patients sortent du circuit du soin. Ils doivent respecter les traitements prescrits par les médecins et dispensés par le pharmacien, en respectant la règle «le bon médicament au bon malade, à la bonne dose». Il faut instaurer une responsabilité fléchée autour de la communication sur les sujets de santé. Toute communication sur ce sujet doit se faire sous le contrôle d'un professionnel de santé. Et peut-être, afin d'éviter les amalgames, les boîtes et les conditionnements des produits dits compléments alimentaires doivent porter la mention «ce produit n'est pas un médicament».


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