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Andreï Makine fait l'éloge d'Assia Djebar et chante l'âme russe
DISCOURS À L'ACADEMIE
Publié dans L'Expression le 26 - 12 - 2016


Assia Djebar
«Les Français admirent les Américains, qui les méprisent, et ils méconnaissent les Russes, qui les admirent.» (commentaire d'un internaute)
Elu au fauteuil de la Franco-Algérienne Assia Djebar, l'écrivain Andreï Makine a été reçu à l'Académie française selon un rituel qui date de Richelieu il y a près de quatre siècles. Le 15 décembre, il a rejoint la communauté des 40 immortels. à cette occasion chaque immortel qui remplace un académicien mortel, se pare d'une tenue brodée par les plus grands couturiers, celle de cet académicien sera l'oeuvre de Giorgio Armani. Sur la lame de son épée, oeuvre d'un joailler, l'écrivain franco-russe a fait graver cette formule de Cicéron: «Verba rebus imprimere». (mettre des mots sur les choses) On se souvient comment Alain Finkielkraut, l'intellectuel qualifié de «clivant» de par ses écrits contre les Maghrébins, les Noirs, avait fait la quête pour son habit vert qui aurait coûté près de 35.000 euros. Il faut y ajouter l'épée qui peut aller jusqu'à 100.000 euros. Tout cela pour des représentations épisodiques. Le paraître et le m'as-tu vu, contrairement à ce que l'on croit, sont une dimension de la nature humaine qui se bonifie avec l'âge...
Qui est Andreï Makine?
C'est avant tout un intellectuel qui a quitté l'Urss en débâcle, il s'est fait lui-même en s'imposant difficilement comme un écrivain de talent en France, non seulement, il maîtrise la langue, mais il l'a bonifiée au point d'avoir été élu à l'Académie française. C'est aussi un intellectuel qui n'a rien perdu de l'âme russe au point de défendre la Russie, même s'il est traité de poutiniste. Il nous rappelle à bien des égards les écrivains mythiques comme Gogol, Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski.
L'éloge de Assia Djebar
«Mes paroles déclare-t-il s'éloignent, du but de ce discours qui doit rendre hommage à cet écrivain remarquable que reste pour nous Assia Djebar. En effet, quel lien pourrait unir le souverain d'une lointaine Moscovie, une romancière algérienne et votre serviteur que vous avez jugé digne de siéger à vos côtés? Ce lien est pourtant manifeste car il exprime la raison d'être même de l'Académie: assurer à la langue et à la culture françaises le rayonnement le plus large possible et offrir à cette tâche le concours des intelligences oeuvrant dans les domaines les plus variés (...) Aucun Rideau de fer n'empêcha la brillante élève algérienne de traverser la Méditerranée, de venir étudier à Paris, au lycée Fénelon d'abord et, ensuite, à l'Ecole normale supérieure. Et même quand la grande Histoire - la guerre d'Algérie - fit entendre son tragique fracas, Assia Djebar parvint à résister à la cruauté des événements avec toute la vigueur de son intelligence. Romancière à l'imaginaire fécond, cinéaste subtile, professeur reconnu sur les deux rives de l'Atlantique - la carrière de la future académicienne est une illustration vivante de ce que la sacro-sainte école de la République avait de plus généreux. Un destin aussi exemplaire fait presque figure de conte de fées ou, plutôt d'une apothéose où le général de Gaulle apparaît, un jour, en deus ex machina, pour aider l'universitaire et la militante pro-FLN Assia Djebar à réintégrer ses fonctions.»(1)
«Cette vie, d'une richesse rare, est trop bien connue pour qu'on soit obligé de rappeler, en détail, ses étapes. Maintes thèses universitaires abordent l'oeuvre d'Assia Djebar. Ses étudiants, en Algérie, en France, aux Etats-Unis, perpétuent sa mémoire. Des prix littéraires, très nombreux, ont consacré ses textes - depuis Les Enfants du Nouveau Monde jusqu'à La Femme sans sépulture - traduits en plusieurs langues. Cette formulation qui peut vous paraître trop radicale reflète à peine la radicalité avec laquelle la question est soulevée dans les livres d'Assia Djebar. «Le français m'est une langue marâtre», disait-elle dans son roman L'Amour, la fantasia. Une langue marâtre! Donc nous avions raison: adopter une langue étrangère, la pratiquer en écriture peut être vécu comme une rupture de pacte, la perte d'une mère, oui, la disparition de cette «langue mère idéalisée» dont parle la romancière. «Sous le poids des tabous que je porte en moi comme héritage, disait-elle, je me retrouve désertée des chants de l'amour arabe. Le français, une langue marâtre, incapable d'exprimer la beauté des chants de l'amour arabe, une langue aride...» (1)
Là où l'intellectuel s'est fourvoyé à notre sens, c'est d'avoir mis dans le même sac des informations discutables concernant les harkis et les pieds-noirs. De plus, au passage on sent chez lui comme un problème vis-à-vis de l'islam sous couvert de dénonciation de l'islamisme en amalgamant l'Allahou akbar, des romans d'Assia Djebar avec celui des extrêmistes. Il écrit: «Comme tous les livres engagés, les romans d'Assia Djebar éveillent une large gamme d'échos dans notre époque. Ces livres parlent des massacres des années cinquante et soixante, mais le lecteur ne peut s'empêcher de penser au drame qui s'est joué en Algérie, tout au long des années quatre-vingt-dix. Nous partageons la peine des Algériens d'il y a soixante ans, mais notre mémoire refuse d'ignorer le destin cruel des harkis et le bannissement des pieds-noirs. Et même les mots les plus courants de la langue arabe, les mots innocents oui, l'exclamation qu'on entend dans la bouche des personnages romanesques d'Assia Djebar, ce presque machinal Allahou akbar, prononcé par les fidèles avec espoir et ferveur, se trouve détourné, à présent, par une minorité agressive - j'insiste, une minorité! - et sonne à nos oreilles avec un retentissement désormais profondément douloureux, évoquant des villes frappées par la terreur qui n'a épargné ni les petits écoliers toulousains ni le vieux prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray.» (1)
Le discours qui fâche
Andreï Makine a évoqué le demi-million d'enfants irakiens massacrés, la monstrueuse destruction de la Libye, la catastrophe syrienne, le pilonnage barbare du Yémen. Qui aurait, aujourd'hui, l'impudence de contester le martyre de tant de peuples, musulmans ou non, sacrifiés sur l'autel du nouvel ordre mondial globalitaire? Au milieu de son discours, il est revenu sur la sanglante bataille de la Moskova, la guerre de Crimée, l'Ukraine d'aujourd'hui et Kiev, dénonçant «la guerre fratricide orchestrée, dans cette ville, par les stratèges criminels de l'Otan». Makine n'a jamais mâché ses mots, encore moins sous la Coupole, avec son égale voix de baryton roulant les «r». Toujours aussi combatif, animé d'un esprit de résistance, l'auteur de Cette France qu'on oublie d'aimer a fait l'éloge de l'escadrille Normandie-Niémen et de «ses magnifiques héros français tombés sous le ciel russe en se battant contre les nazis». En outre, il n'a pas manqué de dénoncer le «déferlement des best-sellers anglo-saxons et de l'autofiction névrotique parisienne», d'étriller «la nouvelle caste d'ignorants» qui nous gouverne et de blâmer l'inculture, les diktats idéologiques, les médiocrités divertissantes». (2)
Dénonçant les méfaits d'un Occident sûr de lui et dominateur il écrit: «Nous avons eu la plaie tchétchène: mais alimentée par l'argent turc, l'argent islamique. Alors que Bush père, lui, chapeautait la CIA: combien de crimes l'agence a-t-elle commis? 250.000 morts pour le Nicaragua. Sans parler de l'Irak, des révolutions arabes... Le monde est extrêmement sauvage! Et les Français installés comme nous dans un café à Saint-Germain-des-Prés disent: «Les choses doivent se passer comme ça.» (3)
Andreï Makine a également regretté que «les grandes puissances» occidentales «jouent avec le feu, en livrant des armes aux intégristes, en les poussant dans la stratégie du chaos, au Moyen-Orient». «Qui aurait, aujourd'hui, l'impudence de contester le martyre de tant de peuples, musulmans ou non, sacrifiés sur l'autel du nouvel ordre mondial globalitaire?»
A sa façon, Andreï Makine fait l'éloge de la sobriété en tout: «Dans son roman, deux de ses personnages iront s'isoler sur une île hostile, battue par les vents, de l'archipel des Chantars. Au jeune garçon qui l'interroge sur ce choix étrange, Pavel répond: «nous y vivions». Aujourd'hui, Andreï Makine comprend de plus en plus le choix de Pavel. «On peut vivre autrement. On peut choisir un mode de vie qui exclut la pollution, la surconsommation, la surexploitation». «L'homme ne devrait pas oublier qu'il n'est qu'un pauvre locataire de la Terre», insiste le romancier qui égratigne une nouvelle fois le mode de vie américain («avoir chacun quatre bagnoles», résume-t-il avec provocation). «Les Américains ne comprennent pas qu'on est sur le même radeau. On détruit la planète. Il faut arrêter cette escalade», dit-il avant de s'interroger: «Est-ce que les gens sont capables de l'entendre?».» (3)
Eloge de la culture française
Andreï Makine évoque ensuite deux illustres souverains russes,dont il en tire fierté, de passage à Paris: «Il y a trois cents ans déclare-t-il, oui, trois siècles à quelques mois près, au printemps de 1717, un autre Russe se rendit à l'Académie, qui siégeait, à l'époque, au Louvre. Il s'agissait de Pierre le Grand! (...) L'enthousiasme de Pierre le Grand fut si ardent que, visitant la Sorbonne, il s'inclina devant la statue de Richelieu, l'embrassa et prononça ces paroles mémorables que certains esprits sceptiques prétendent apocryphes: «Grand homme, je te donnerais la moitié de mon empire pour apprendre de toi à gouverner l'autre.» La Grande Catherine de Russie sembla avoir bien tranché ce noeud gordien. «Voltaire m'a mise au monde», disait-elle, et cette affirmation ne concernait pas l'usage du français qu'elle pratiquait couramment et que toute l'Europe éclairée parlait à l'époque. Non, il s'agissait avant tout de l'ouverture au monde intellectuel de la France, à ses joutes philosophiques, à la diversité et à la richesse de ses belles-lettres.» (1)
Réponse de Dominique Fernandez
L'académicien Dominique Hernandez retrace la carrière de Andreï Makine à travers ses romans et dénonce la position dogmatique de la presse qui croyait là avec la chute de l'Urss, avoir tué l'âme russe: «Gardons-nous écrit-il de vous confondre avec ce qu'une certaine presse occidentale écrivait à la même époque. Les journaux de droite exultaient: le marxisme, le stalinisme n'avaient été que de sanglantes supercheries. On vous l'avait bien dit, que le communisme n'était qu'une mascarade, et ses partisans que des bourreaux cyniques ou des dupes idiotes. Dans votre livre, tout autre est le ton. Vous démythifiez le régime, mais la rage et le désespoir au coeur. La Russie est votre patrie, demeure votre patrie, et l'on sait à quel point, pour un Russe, la terre, la terre russe, prime sur toutes les autres valeurs. Vous souffrez par la Russie, vous souffrez en elle.» (...)» (1)
«Ce feu ardent, vous l'avez défini ainsi, dans Le Testament français: «Un étrange alliage de cruauté, d'attendrissement, d'ivresse, d'anarchie, de joie de vivre invincible, de larmes, d'esclavage consenti, d'entêtement obtus, de finesse inattendue...», pour conclure: «Vivre quotidiennement au bord du gouffre, oui, c'est ça la Russie.» Dans quel autre pays que la Russie voit-on des gens lire frigorifiés sur le banc d'un square des poètes hermétiques, tels les futuristes, tel le jeune Maïakovski? Faire une heure de trajet dans un métro bondé pour aller écouter le troisième de Rachmaninov ou la sixième de Tchaïkovski? (...) La guerre, que les Russes appellent la Grande Guerre patriotique, on en trouve des échos dans maints de vos livres. (...) Monsieur, qui incarnez si bien votre patrie, cet indicible, ineffable supplément d'humanité qui mérite de s'appeler, d'un vocable dépourvu absolument de mièvrerie, mais chargé au contraire d'une saveur ô combien épicée: le charme russe.» (1)
Plaidoirie pour une entente avec la Russie
La réception du plus russe des écrivains français a été marquée par un plaidoyer en faveur d'un pays qui serait toujours présenté sous un aspect négatif. Il a plaidé en faveur de «l'entente franco-russe» en retraçant les liens historiques, littéraires et spirituels entre les deux nations. À rebours de la position officielle de la France.
«La Russie peut être cruelle, atroce... elle n'est jamais petite», tient à souligner Andreï Makine. L'amour inconditionnel de la Russie transpire dans chacune des pages. Andreï Makine se dit orphelin du général de Gaulle qui n'hésitait pas «à traiter avec Staline» et tenait la dragée haute aux Américains. «L'Europe, dit-il en paraphrasant le général, c'est de l'Atlantique à l'Oural». Aujourd'hui, regrette-t-il, «les provocations» s'accumulent contre la Russie. «Regardez toutes les bases américaines qui entourent la Russie. Ce ne sont pas les Russes qui l'inventent», soutient-il. «En Ukraine on relance les provocations», poursuit-il avant de mettre en cause les Etats-Unis et «les guerres américaines en Syrie, en Libye et en Irak». «Ce que font les Américains est tragique», déplore-t-il. «J'essaie de dire la vérité», se justifie-t-il. «Le politiquement correct est étouffant.». (3)
Revenant sur son parcours il déclare: «(...) Quoi qu'il en soit déclare t-il, dans le milieu des années 1980, cette Russie était terminée, c'était évident, et celle qui était en train de naître ne me plaisait pas du tout. (...)Mais la Russie d'aujourd'hui c'est devenu trop neuf, trop clinquant. Le grand-père de Gagarine était un serf et son petit-fils a conquis l'espace! Trouvez-moi une autre civilisation qui aurait accompli cela, en si peu de temps (...) La Russie est un trop gros poisson, et la juger sur la base d'une seule écaille, qui brille ou qui casse, n'est pas suffisant - Il y a cet énorme corps - imprévisible, passionnant, baroque, et qui fait le charme de la Russie. Sa tâche [Poutine] est très difficile. Comme le dit mon ami Dominique Fernandez, si l'on prenait notre Premier ministre ou même notre président pour le mettre à la tête de la Russie, il tiendrait une journée au plus. Et la patience des gens en Russie. est incommensurable: on a vaincu grâce à ça: non pas grâce aux armes, non pas grâce à l'intelligence des stratèges, mais grâce à la patience du moujik. (...) Dans le pire des cauchemars de Gorbatchev, personne n'aurait imaginé que les fusées de l'Otan arrivent aux frontières de la Russie.» (5)
Andreï Makine a été intronisé, comme le furent nombre d'écrivains d'origine russe qui ont siégé sous la Coupole: de Joseph Kessel à Hélène Carrère d'Encausse, en passant par Henri Troyat et Maurice Druon. Ces auteurs n'ont jamais renié leur origine. Sans verser dans une nostalgie ou une concurrence sur le monopole du coeur, On se prend à rêver de compatriotes élus dans les instances étrangères au vu de leur talent, mais qui n'oublient pas qu'ils ont un pays qui les a vu naître. On prête au grand Mao l'anecdote au plus fort de la uerre froide, il invite deux physiciens chinois qui ont fui la Chine en 1949 et qui ont réussi brillamment aux Etats-Unis au point d'avoir une grande reconnaissance scientifique. A la fin du repas, Mao se lève et porte un toast en l'honneur de ses invités en leur disant avec un sourire: «Soyez de bons Américains, mais n'oubliez pas que vous êtes aussi chinois!» Tout est dit.
1.https://legrandsoir.info/discours-dandrei-makine-et-reponse-de-dominique-fernandez.html
2.http://www.lefigaro.fr/culture/2016/12/15/03004-20161215ARTFIG00303-andrei-makinerecu-sous-la-coupole-l-academie-francaise-sous-le-charme-russe.php
3.http://www.leparisien.fr/flash-actualite-culture/le-retour-en-russie-d-andrei-makine-le-plus-russe-des-ecrivains-francais-27-08-2016-6073331.php
4.http://www.france24.com/fr/20161215-academie-francaise-andrei-makine-defend-russie-crimee-syrie
5.http://www.lecourrierderussie.com/culture/2013/12/andrei-makine-la-russie-est-un-gros-poisson/


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