Barzakh éditions vient de rééditer, à une année du cinquantième anniversaire de la première oeuvre de l'auteur, un recueil de poésies de Mohammed Dib. Paru, comme l'intégralité de ses travaux, en France, l'Aube d'Ismael - Louanges, mis en circulation en 1996, sous édition limitée, a vite fait de disparaître de chez les libraires français. Barzakh éditions, comme pour rétablir le courant entre celui qui s'est lui-même nommé écrivain du peuple et les lecteurs qui font justement partie de cette source de création, s'est rapprochée de l'auteur pour l'achat des droits de diffusion en Algérie. Les barzakhiens ne se sont pas arrêtés à une simple réédition puisqu'ils incluent une traduction à l'arabe de l'oeuvre, signée Miloud Hakim. Entre l'auteur et le traducteur, tous deux natifs de Tlemcen et bien qu'il soit très possible qu'ils n'aient jamais eu à se rencontrer, une profonde complicité se tisse au gré des pages. Si d'un côté, Mohammed Dib nous donne encore une fois à apprécier l'universalité de son expression littéraire, de l'autre, Miloud Hakim, à l'affût, et en plus de plier la poésie dibienne aux rigueurs d'une nouvelle langue, exhume les références sociales que l'auteur de la Grande maison n'a jamais cessé d'invoquer dans ses écrits. Quelques marges, aménagées par le traducteur en attestent en révélant les emprunts de Dib à une langue mère chargée de proverbes. Hagar et Ismael, personnages historiques au centre des divergences entre les religions monothéistes. Mohammed Dib se les approprie pour un voyage. Hagar s'éloigne, Ismael dans ses bras, c'est ainsi que tout commence pour le poète. Le désert est alors leur destination après l'extradition. Dans Désert sans retour, paru aux éditions Sindbad en 1992, l'auteur admirait cette immensité aride qui a suscité la majeure partie des illuminations divines et disait:«Le désert offre la particularité que, dans quelque direction que vous alliez, et aussi loin que vous alliez, vous restez sur place, restez au milieu du désert.» et, par conséquent, face à vous-même. C'est la trilogie Algérie composée de La Grande Maison (1952), L' Incendie (1954) et Le Métier à tisser (1957) parue aux éditions du Seuil, qui a consacré Mohammed Dib. Cette trilogie, grâce à l'adaptation télévisée réalisée par le défunt Mustapha Badie, est manifestement le seul lien entre l'oeuvre de l'auteur et son public premier. Il y en a même qui croyaient l'auteur mort, lui qui totalise plus d'une trentaine d'ouvrages et qui continue de produire. Dans une interview donnée à la revue Témoignage Chrétien (fév.1958), l'auteur définit clairement le rapport au référent socio-historique qu'il entretient, lui, ainsi que d'autres auteurs partageant le même esprit, dans ses écrits: (...) il nous semble qu'un contrat nous lie à notre peuple. Nous pourrions nous intituler ces écrivains publics. C'est vers lui que nous nous tournons d'abord. Nous cherchons à en saisir les structures et les situations particulières. Puis nous nous retournons vers le monde pour témoigner de cette particularité, mais aussi pour marquer combien cette particularité s' inscrit dans l' universel. Ainsi l'oeuvre dibienne se présente comme littérature à thèse dont le but humaniste et universaliste était de familiariser le monde avec cet indigène que l'idéologie coloniale présentait comme étrange, voire barbare. Depuis Habel (1977), Dib déplace la scène romanesque hors d'Algérie: à Paris d'abord, puis dans les neiges et les mers des pays nordiques (Les Terrasses d'Orsol 1985 ; Le Sommeil d'Eve 1989 ; Les Neiges de marbre 1990) Ecrivain complet, Dib s' impose, au fur et à mesure, comme un maître, aussi bien dans la poésie, le roman que la nouvelle, travaillant simultanément ou en alternance dans chacun de ces genres. Cette navigation incessante entre la poésie et la prose opère une contamination des genres l'un par l'autre et permet ainsi une poétisation croissante de la prose romanesque en même temps qu'une narrativisation de la poésie dibienne. C'est ce qui ressort très clairement de L'aube d'Ismael. C'est la première fois, et c'est là un détail qu'il ne faut pas oublier de rappeler, que Mohammed Dib se fait traduire en arabe en Algérie. En 2002, il se passera cinquante ans depuis la parution chez le Seuil de son premier roman La grande maison.