Un duo de charme Adaptation fouillée, mais allégée du texte poétique de Mohamed Dib, cette pièce présentée jeudi au Théâtre national Mahieddine -Bachtarzi a été portée magnifiquement par le duo de comédiens Meriem Medjkane et Tarik Bouarrara. Au départ une femme, comédienne de son état, membre du collectif «les itinérantes». Elle, c'est Meriem Medjkane qui depuis des années, rêve d'adapter sur les planches un texte poétique, pas facile à décoder, celui de Mohamed Dib. Une autre femme, la metteure en scène Djaber Hadda sur proposition de la documentariste et poète Habiba Djahnine accepte de rencontrer immédiatement la comédienne pour accompagner ce rêve d'Oran, puis à Alger en adaptant ce texte. Des mois durant elles vont travailler sans relâche, tenter d'alléger le texte dont le métalangage de Dib ici présent, s'accorde très bien avec notre actualité. Un texte de ce fait atemporel qui aborde l'exil au sens large, le silence, la traversée du désert de l'homme, son errance intérieure, mais aussi sa renaissance aussi. Il y a la parole qui se délie puis l'espoir de se retrouver. La reconstruction de soi, en somme, celui d'une mère qui a perdu son enfant, son amour, qui s'abandonne à son sort et nous livre son émoi. Il y a violence de la métaphore, de la ponctuation qui ramène la respiration là où l'on voit de l'égarement, la confrontation de deux comédiens en fait qui vont incarner cette déchirante histoire. Ecrit et lu en français, le texte est rehaussé de quelques mots en arabe comme pour marquer justement la ponctuation, insister sur le mot clé. L'ambiance est austère n'était-ce le tempo d'un goumbri, du luth ou des percussions qui viennent adoucir ce décor et inciter à la méditation. Meriem Medjkane, talentueuse et gracieuse donc et le danseur comédien Tarik Bouarrara, vont nous narrer chacun de son côté, mais en duo parfait ce tragique récit philosophco-poétique. Chacun dans son soliloque va se lancer à corps perdu dans ce voyage initiatique pour tenter de guérir du mal. «Le désert ne revient jamais en arrière», dit Meriem Medjkane. Le texte est décliné en symbolique. Si l'âme se perd dans le désert, il y a aussi notre imaginaire, notre foi en l'Autre, la danse des anges pour s'émouvoir, l'eau et la mer pour espérer et ressusciter. Vagues à l'âme et force féminine pour croire en un lendemain meilleur. Pour la metteure en scène, ce sujet est d'autant plus d'actualité qu'il rappelle la thématique des migrants et des réfugiés en Algérie qu'on a abandonnés aux frontières. Il y a là l'idée de leur effacement aussi. Notre mirage à nous? N'est-ce pas que le désert est peuplé de fantômes de nous -mêmes projetés sur le manteau de nos idéaux? Si la langue de Dib est traversée de labyrinthes, son interprétation est forcément multiple et demeure résolument contemporaine. Elle ouvre des brèches dans les champs du possible. Si la nature a horreur du vide, celle de Dib est polysémique. Rien n'est laissé au hasard. Si la scénographie est volontairement minimaliste, composée juste de petits amas de branches mortes placés ici et là sur la scène du théâtre, les comédiens vont,entre deux mouvements et soliloques s'incarner dans ce travail de catharsis les mains souvent affairées à construire une pyramide en bois, se relever pour se réinventer. Fragiles doucement et peut-être sûrement? L'abandon du fils est une histoire vieille comme le monde. Le désert ici comme entité géographique, mais imaginaire aussi, n'a pas fini de compter ces terribles souvenirs et poser les jalons de la quête de nos existences. Après une première présentation dimanche dernier à l'Institut français d'Oran, L'Aube Ismail a été présentée dans la petite salle du Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi (TNA) devant une foule très nombreuses, à telle enseigne que des gens n'ont pu accéder à la salle, faute de places, mais aussi pour ne pas empiéter sur la concentration des acteurs, la salle était déjà trop petite. Gageons que d'autres présentations seront programmées ultérieurement!