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Quand Broussard rencontre Azwaw
REGARDS CROISES
Publié dans L'Expression le 10 - 12 - 2001

Au confluent des rencontres, naît, parfois, la «juste» amitié, issue de cet échange fructueux entre deux individus, artistes de surcroît
Invité par le Centre culturel français et notamment par son ami Abderrahmane Djelfaoui pour animer un récital poétique à Alger, le poète méditerranéen d'expression française comme il se plaît à se qualifier Yves Broussard, est, lors de son court séjour, il y a quelques semaines, allé à la rencontre d'hommes intellectuels, notamment des écrivains, éditeurs, journalistes, férus de poésie et de littérature sans oublier cette singulière rencontre avec l'artiste peintre et sculpteur Azwaw Mammeri dont nous avons été le témoin d'un jour. L'initiative était signée A.Djelfaoui, l'entremetteur de service.
Au confluent des rencontres naît, parfois, la «juste» amitié, et se tissent les affinités, issues de cet échange fructueux, entre deux individus, de surcroît artistes. Deux entités humaines, deux sensibilités qui se découvrent l'un à l'autre et se rejoignent dans la possibilité ou la capacité qu'a chacun de «magnifier l'éphémère» par le biais de son moi créateur. L'un avec ses vers, l'autre grâce à sa palette de couleurs et ses divers matériaux, parvenant ainsi à travers le discours «sublimé» qu'ils véhiculent, à traduire les mystères de «la vie élémentaire qui nous compose». Comment ces deux-là ne pouvaient-ils pas se rencontrer. «L'impulsion d'écrire est le produit d'émotions percutantes», a écrit André Ughetto. Aussi, d'un geste spontané, l'artiste peintre, ce grand enfant, manie ses pinceaux et affûte ses couteaux comme le poète, qui, d'un revers de la main, part avec sa plume sur la feuille blanche y opposer sa rêverie. Celle-ci, tributaire de l'instant, ne se révèle qu'au moment où les tiroirs de notre mémoire s'ouvrent pour qu'enfin naissent les plus tiroirs oeuvres d'art... Incontestablement Yves Broussard et Azwaw Mammeri n'étaient venus au monde que pour se comprendre.
Aussi, c'est par une froide matinée de novembre en ce début du mois de ramadan que nous nous apprêtions à rendre visite à Azwaw dans sa demeure familiale, cette villa au jardin luxuriant, sise à Bordj El-Kiffan. Durant ce trajet en voiture, Djelfaoui s'appliquait à «jouer» au parfait guide touristique pour notre ami Broussard. A notre arrivée, l'humble Mammeri fidèle à son personnage espiègle, nous accueillera avec le sourire et les bras grands ouverts avant de nous introduire dans son atelier-chambre à coucher. Une chambre dépouillée de tout détail personnel, seul un lit se trouve près de la table de travail de l'artiste. Sur les murs de cette pièce on pouvait remarquer ses nouvelles créations picturales, n'ayant pas fait encore l'objet d'une exposition. C'est avec des yeux émerveillés que nous les découvrons en exclusivité. On ne sait s'il a fallu du temps pour que se brise la glace entre ces deux individus. Ce dont on se rappelle est certainement cette simplicité avec laquelle ces deux-là échangeaient leurs points de vue sur tout et sur rien, de cette complicité des idées qui s'entremêlaient, s'interpénétraient dans une parfaite connivence et réciprocité qui s'installaient au fur et à mesure que le temps passait. De cette discussion à bâtons rompus, il sera question entre autres du cinéma polonais et tchèque, notamment de l'époque socialiste des années 70, de sujets d'actualité qui alimentaient quasiment tous les jours notre quotidien et que d'aucuns abordaient encore il n'y a pas si longtemps, la guerre en Afghanistan, en l'occurrence, Ben Laden, mais aussi des effets néfastes de la mondialisation. De la poésie bien sûr et de la peinture bien évidemment. Il sera également question de spiritualité dans l'oeuvre. De «l'individu dans le cosmos», «ce que je m'efforce d'être», dit Yves Broussard, de ces choses qui construisent notre univers analysé tantôt avec sérieux, tantôt avec franche rigolade. Aussi, de la libre interprétation de l'oeuvre dans la peinture moderne, et de sa symbolique, de son image plastique, virtuelle, enfin de l'image... métaphorique dans la poésie et son rapport analogique avec la peinture. «Mon but, à travers la peinture est d'exprimer la spiritualité non sacralisée», affirme Mammeri. Une notion débattue qui fera dire à Yves que «Dieu est en nous» et de faire référence à un philosophe qui avait étudié la spiritualité dans la matière... Là, voulant se dérober à ces assertions carrées, lui le «modeste autodidacte», Mammeri fera remarquer qu'il est «terre à terre», «les pieds, oui, mais la tête dans les étoiles», rétorque Yves pour plaisanter. « Oui, quelquefois!», répond, dans un éclat de rire, Mammeri avec le regard mi-effronté, mi-innocent qui le caractérise.
Volubile dans ses propos, Mammeri n'en retenait parfois que davantage l'attention de son hôte Yves Broussard. Parlant de son nouveau «jet» pictural, de ces traits, cette texture, cette dualité du noir et blanc, ces ocre, rouge et jaune... «je les ai pris de la terre, ce côté argile, artisanal, je me suis inspiré de la poterie...», dit-il, et en contemplant ces papiers kraft, supports de son oeuvre, matière anoblie sous les doigts habiles du peintre, à Yves de les interpréter, et de sonder ce «fil du rasoir» qu'il y a entre le blanc et le noir... Un instant de réflexion où l'on se demandait qui d'Yves ou de Mammeri était poète et peintre. Des propos soutenus par des extraits de poèmes que le poète marseillais se plaisait à citer. Et la discussion, en s'enflammant par moment, devenait passionnante et passionnée avant de céder la place à ce silence inopiné, ce «je ne sais pas» dubitatif lâché en suspens par Azwaw. Nous, nous restions cois, interdits devant ce beau spectacle qui se déroulait sous nos yeux, faut-il l'avouer transis que nous étions déjà par le froid. Avant de quitter cette charmante demeure de l'artiste peintre, ce dernier se pliera au traditionnel rituel, nous le supposons, celui de faire découvrir à ses hôtes, les superbes toiles de son grand-père qui était aussi artiste peintre exilé au Maroc et considéré, en fait, comme l'un des pères de la peinture nord-africaine. Ses formidables peintures ornaient aussi bien les murs du salon que ceux du hall de la maison. Elles nous donnaient l'étrange impression d'évoluer dans un véritable musée, plein de vieux souvenirs. A l'entrée du salon, nous pouvions apercevoir à droite, accroché à son cimaise, un tableau représentant le portrait de la sulfureuse Joséphine Baker, mais en tenue traditionnelle du Maroc, comble de la surprise. Le grand-père avait eu la chance de la rencontrer là-bas et de l'immortaliser en la peignant. Un tour d'horizon de ces toiles finit par nous faire plonger dans cette atmosphère orientaliste du Maroc de l'époque coloniale et d'admirer la beauté de ces paysages, de découvrir ces scènes de la vie de tous les jours, de ces petites gens.
A l'issue de cette inédite rencontre entre un poète, Yves Broussard, et un artiste peintre bien de chez nous, en la personne de cet agitateur agité de la matière, Azwaw Mammeri, c'est un nouveau «compagnon» que désormais l'un et l'autre venaient de découvrir. Un heureux croisement scellé par un projet: «Je vais prendre quelques-uns de ses tableaux pour les reproduire dans la revue Les Archets dont je m'occupe Avec Richard Martin», nous confiera enfin Yves Broussard après avoir apprécié les oeuvres de Mammeri et «extrait leurs secrets».


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