Le Premier ministre désigné, Omar Karamé, a renoncé mercredi à former un cabinet, accentuant la crise libanaise Le renoncement du Premier ministre désigné, Omar Karamé, à former un gouvernement, dont la mission essentielle est d'organiser les prochaines élections législatives, met en exergue la gravité de la crise politique que traverse le Liban, au moment où le pays des Cèdres célèbre le 30e anniversaire de la guerre civile (13 avril 1975/13 avril 2005). De fait, la démission de M.Karamé remet en cause la tenue, fort attendue, du scrutin législatif prévu avant la fin du mois de mai prochain. Donc, aujourd'hui, l'enjeu principal, après la satisfaction de deux des exigences de l'opposition, le retrait des contingents syriens stationnés au Liban, -ce qui devait être fait au plus tard le 30 avril, comme l'a annoncé au début du mois le président syrien Bachar Al Assad-, et la mise sur pied d'une commission d'enquête internationale après l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafik Hariri, -commission en bonne voie de formation-, reste les élections législatives, troisième point des revendications de l'opposition. Or, la démission de Omar Karamé remet en question ce scrutin, du moins dans les délais qui lui étaient, au départ, impartis, et fait craindre une radicalisation de la crise face au dialogue de sourds entre l'opposition et le régime du président Lahoud, les mésententes sur les stratégies à observer tant dans les rangs de l'opposition, -qui, jusqu'à maintenant, a refusé de faire partie d'un gouvernement de transition-, que parmi les «pro-syriens» qui ne se sont pas entendus sur la composition du cabinet, d'une part et sur la nouvelle loi électorale édictée par le cabinet sortant de M.Karamé, d'autre part. Dans une déclaration à la presse, le Premier ministre démissionnaire a dit, jeudi, qu'il avait présenté sa démission au président Lahoud lundi soir, indiquant: «j´avais déjà donné ma lettre de démission au chef de l´Etat lundi soir et le président Lahoud m´a demandé de temporiser pour donner le temps à des tractations de dernière minute, mais comme je ne vois pas de changement, je réaffirme ma décision de démissionner". Expliquant sa décision de renoncer à former un cabinet, il a dit que sa décision est motivée par les «divergences qui sont apparues» au sein de ses partisans. «Face à la poursuite des divergences, je suis arrivé à une impasse. Je renonce à former un gouvernement», a-t-il ajouté. Il semble que la formation du gouvernement achoppait sur le projet de loi électorale, déposé sur les bureaux de la chambre des députés par le précédent cabinet de M.Karamé et portant sur un découpage basé sur la petite circonscription qui assure une meilleure représentativité à l´électorat chrétien, minoritaire à l´échelle nationale. Toutefois, ce projet n'a pas rencontré le soutien souhaité, ce qui a entraîné la démission de plusieurs ministres en signe de protestation. Et les choses n'ont pas évolué notablement, débouchant sur l'impasse évoquée par M.Karamé. De fait, la crise libanaise prend ses racines dans la décision du Parlement libanais de proroger de trois ans le mandat du président Emile Lahoud - lequel est arrivé à terme en octobre dernier- parce qu'il n'y a pas eu d'accord sur le nom du successeur du président sortant, qui, selon le Constitution libanaise, doit être un maronite (chrétien). Cette décision, que les experts considéraient anticonstitutionnelle, avait donné l'opportunité à des pays occidentaux, les Etats-Unis et la France notamment, de s'ingérer dans les affaires intérieures libanaises, d'où l'adoption par le Conseil de sécurité, en septembre 2004, à l'instigation de Paris et de Washington, d'une résolution, (la résolution 1559) exigeant le retrait des troupes syriennes du Liban, l'organisation d'élections avant fin mai et «la dissolution et le désarmement de toutes les milices libanaises et non libanaises» en référence au Hezbollah et aux groupes palestiniens. Il est vrai que, depuis, les Libanais, l'opposition comprise, estiment que la question du désarmement des milices du Hezbollah est une question interne au Liban qui trouvera sa solution dans le cadre des lois libanaises. Ainsi, si l'affaire Lahoud a ouvert une crise politique au Liban, l'assassinat de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri, le 14 février dernier, a radicalisé les positions des uns et des autres. Aussi, le renoncement de Omar Karamé à former un cabinet, dont l'unique mission est d'organiser les élection de la fin mai, est différemment interprétée, l'opposition y voyant surtout une nouvelle manoeuvre du régime Lahoud pour retarder, sinon annuler, les prochaines législatives. Ce que n'hésite pas à affirmer l'opposition. A Strasbourg, où il était l'invité du Parlement européen, l'un des leaders de l'opposition, le druze Walid Joumblatt déclarait à propos de la démission de M.Karamé: «C´est une fuite en avant qui ne sert à rien. Si les loyalistes ont une certaine légitimité, qu´ils se présentent aux élections, on verra aux urnes» affirmant: «Il faut que des élections se tiennent, au moment voulu. S´il n´y a pas d´élections, c´est un peu l´inconnu et si le gouvernement en face veut toujours tergiverser pour retarder ces élections, le même peuple libanais qui a pris la parole pourrait faire tomber un nouveau gouvernement fantoche» M.Joumblatt, met aussi en exergue la capacité du peuple libanais à se mobiliser comme il le fit après l'assassinat de Hariri. De fait, l'enjeu des prochaines élections législatives a quelque peu tendance à s'internationaliser après les mises en garde successives des Etats-Unis et de la France, contre tout retard de leur organisation dans les temps prévus. Ainsi, tour à tour, les chefs des diplomaties française et américaine se sont exprimés sur cette question. Alors que le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier réaffirmait la nécessité d´organiser ces élections "au mois de mai, en temps prévu", les conditionnant toutefois par un «retrait militaire syrien total avant le 30 avril», son homologue américaine, Condoleezza Rice, renchérissant, estime que «des délais supplémentaires (pour l´élection) ne sont pas nécessaires»" indiquant: "le Liban doit pouvoir se déterminer pour son avenir, libre de toute intimidation et d´ingérence étrangère ». Mme Rice ajoute: «Nous demandons que la volonté du peuple libanais soit respectée, notamment qu´un nouveau gouvernement soit formé aussi vite que possible et que des élections législatives se tiennent fin mai». A propos d'ingérence étrangère, plusieurs personnalités politiques libanaises, de même que des membres de l'opposition, craignent que le chaos actuel n'ouvre la voie à un «renforcement de l´intervention» de la communauté internationale, «en cas de report des élections». L'actuelle crise où se débat le Liban, l'incapacité des hommes politiques libanais à former un gouvernement, sont là pour dire que le champ politique libanais n'a pas su, pu, ou voulu, tirer les leçons qu'impliquaient quinze années de guerre civile, et quinze autres années perdues à chercher des repères à l'évidence introuvables. Un vrai gâchis.