Habitué aux différents types de gouvernements qu'il a dû mettre sur pied pour résorber la crise née de la guerre civile, le Liban fait face au vide cette fois-ci. Les tractations pour former un cabinet libanais devant superviser les législatives se poursuivent sans grand espoir d'aboutir rapidement, alors que le Premier ministre désigné, Omar Karamé, qui a annoncé son intention de rendre son tablier, consultait hier ses alliés. La plupart des journaux libanais mettaient en avant la forte possibilité que les alliés de M. Karamé rejettent en soirée sa décision de renoncer à former le gouvernement, faute de pouvoir proposer un cabinet d'union nationale. M. Karamé devait annoncer mercredi sa démission lors d'une rencontre avec le chef de l'Etat, Emile Lahoud, mais il a changé d'avis dans l'attente de nouvelles consultations avec ses alliés, parmi lesquels le président du Parlement Nabih Berri. Omar Karamé avait démissionné une première fois le 28 février, sous la pression de la rue et de l'opposition, minoritaire au Parlement mais qui bénéficie d'un grand soutien populaire ainsi que de celui des grandes puissances comme les Etats-Unis et la France. « Vers un cabinet élargi dirigé par Karamé ? », titre As Safir, journal proche de la Syrie. Le journal indique que les participants à la réunion proches du pouvoir vont « persuader M. Karamé de ne pas se désister et d'aller de l'avant dans la formation d'un gouvernement chargé de prendre des décisions en ce qui concerne les élections législatives et pour confronter l'éventuelle création d'une commission d'enquête internationale ». Une telle commission pourrait être chargée par le Conseil de sécurité de l'Onu de faire la lumière sur l'assassinat, le 14 février, de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri. Au cas où M. Karamé accepterait de revenir sur sa démission, le journal Al Mostaqbal, propriété de Rafic Hariri, estime qu'il pourrait être appelé à constituer « un gouvernement, sans l'opposition mais comportant des personnalités crédibles ». Ce cabinet sera chargé de préparer une nouvelle loi électorale en vue du scrutin qui sera « reporté de quelques semaines ». Les législatives doivent se tenir avant le 31 mai, date de l'expiration du mandat de l'actuel Parlement. L'opposition libanaise a haussé le ton jeudi contre le pouvoir, en l'accusant de vouloir « saborder » ces élections. Elle a notamment mis en cause Omar Karamé de jouer le temps afin de proroger le mandat de l'actuel Parlement. Bénéficiant d'un vaste soutien populaire qui s'est accentué depuis la mort de Rafic Hariri, l'opposition est sûre de gagner le scrutin, ce qui renversera la tendance au Parlement pour la première fois depuis des années. Mais au Liban, il est bien difficile d'être sûr de quoi que ce soit. Dans ce climat d'incertitude, l'un des leaders de l'opposition libanaise, Walid Joumblatt, s'est dit hostile à tout effort de déstabilisation de la Syrie et a prôné des relations « privilégiées » avec ce pays après une levée de la tutelle de Damas sur le Liban. « J'insiste sur l'importance de la stabilité en Syrie. Je ne peux pas adhérer à un projet occidental, israélien ou non, pour déstabiliser la Syrie », a-t-il déclaré. « La sécurité de la Syrie est liée à celle du Liban, et la sécurité du Liban est liée à celle de la Syrie. C'est ma conviction. C'est ainsi que l'a voulu Taëf », a-t-il martelé. L'accord de paix interlibanais de Taëf, conclu en 1989 et soutenu par la communauté internationale et arabe, pour mettre fin à 15 ans de guerre civile, prévoit le départ en deux temps des troupes syriennes déployées chez son petit voisin et préconise des relations privilégiées entre Damas et Beyrouth. Les propos de Walid Joumblatt constituent une réponse indirecte à ceux qui prônent, notamment à Washington, un changement de régime en Syrie. M. Joumblatt a indiqué que « ses contacts étaient coupés en ce moment avec Damas ». La Syrie lui a, en effet, fermé ses portes après qu'il se soit opposé à la reconduction en septembre 2004 du mandat du président libanais Emile Lahoud. L'« allié et ami » de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri, dit être, par ailleurs, « contre » la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'Onu. Celle-ci exige, outre un retrait syrien, le désarmement du Hezbollah. « Il est dangereux que certains Libanais misent sur cette résolution », a souligné M. Joumblatt, qui s'est entretenu dimanche avec Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, après une longue rupture. Joumblatt finit par apparaître comme l'élément modérateur, ou plus encore, l'élément fondamentalement politique d'un échiquier marqué au contraire par la passion et les pressions extérieures.