La campagne présidentielle française de 2017 est marquée par les déboires juridiques des candidats de la droite et de l'extrême droite, François Fillon et Marine Le Pen En France, on assiste ces jours-ci à une campagne électorale pour la présidentielle qui, au-delà des scandales qui secouent la scène politique, pose de vraies questions existentielles pour la République et pour la démocratie dans ce pays. Les affaires des emplois fictifs reprochés à Fillon et à Le Pen, bien qu'insignifiantes lorsqu'on les ramène à leur juste valeur, ont entraîné l'apparition de certains comportements qui ne s'inscrivent ni dans les règles de la République ni dans le code de bonne conduite de la démocratie. Ce sont des comportements qui, ayant émergé à chaque fois à l'occasion de la confrontation entre l'intérêt personnel et l'intérêt général, soulèvent le problème des limites entre les deux et, ce faisant, soulèvent des questions ayant trait à plusieurs aspects fondamentaux. Le premier aspect, celui concernant le rapport de l'individu à ses concitoyens, présente plusieurs niveaux. Dans le cas des emplois fictifs, François Fillon aurait abusé de la confiance de ses concitoyens lors du recours à l'emploi fictif et il aurait fait de même lorsque, interrogé par les médias, il avait nié cet acte. Lorsque, se prononçant devant les caméras de la télévision, il avait déclaré que s'il était mis en examen, il se retirerait, il avait engagé sa parole et sa réputation. Or, convoqué par les juges pour le 15 mars afin d'être éventuellement mis en examen, l'ancien Premier ministre refuse toujours de se retirer de la course. Plus qu'ailleurs, il s'agit là d'un abus flagrant de la confiance placée en lui et en ses engagements par ses concitoyens. Mais Fillon n'est pas seul à avoir commis ces impairs, Marine Le Pen a agi exactement de la même manière en recourant à des emplois fictifs, en le cachant à ses concitoyens et, après la mise en examen de ses proches, elle continue de postuler au poste de présidente de la République. Pourquoi tous ces manquements à l'égard des concitoyens? Il se peut que la notion de concitoyen, dans certaines sphères, perde sa signification et que, du coup, d'aucuns ne se sentent en rien obligés vis-à-vis de leurs concitoyens. C'est ce qui expliquerait d'ailleurs pourquoi les hommes politiques aiment tant faire des promesses qu'ils ne tiennent pas par la suite. Il se peut aussi que cette notion ait perdu son sens dans un monde moderne tourné vers le vol, les détournements et les paradis fiscaux. Quelle qu'en soit la raison, une non-considération des concitoyens est aussi une non-considération de la République car elle constitue une atteinte à un de ses principes fondamentaux. Le second aspect est relatif au rapport du citoyen à la justice. Convoquée par les policiers en charge de son dossier dans cette affaire d'emplois fictifs, Marine Le Pen a refusé tout simplement de se rendre. Se cachant derrière son immunité parlementaire, elle a fustigé les agents de police en usant même de propos à la limite de l'acceptable et de la bienséance citoyenne. Une immunité parlementaire, est-elle une raison pour ne pas répondre à une convocation du genre? N'est-ce pas une entrave à la bonne marche de l'enquête? Le Pen aurait pu, elle aurait dû se rendre surtout qu'elle sait que, grâce à son immunité, elle ne risque aucune condamnation. Mais ce refus trahit une attitude foncièrement négative de la fille Le Pen vis-à-vis de la justice et donc de la République que cette justice sert et qu'elle représente. Après la levée de son immunité parlementaire, Le Pen a été convoquée une seconde fois, par les juges cette fois. Mais au lieu de se rendre, elle a préféré leur envoyer une lettre et leur reprocher de vouloir «inventer la justice», de «calquer leur emploi du temps sur l'emploi du temps politique», etc. en d'autres termes, elle leur reproche de faire de la politique plutôt que de la justice. Sur ce plan-là, Fillon a au moins le mérite de s'être rendu à la convocation des policiers et qu'il n'a jamais montré ou dit qu'il compte se soustraire à la justice. Est-ce simplement parce qu'il n'a pas d'immunité comme Le Pen? Peut-on se soustraire de la sorte à la justice de son pays? Le fait de se présenter à la candidature suprême de ce pays, ne doit-il pas encourager lhumilité plutôt que l'arrogance ostentatoire comme c'est le cas de Le Pen ces jours-ci? De toute façon, cette manière d'agir, qui ne grandit pas son auteur bien entendu, ne fait que confirmer que, en France, la République se porte mal. Le troisième aspect se rapporte au rapport du citoyen à l'administration. Là, ce sont les deux candidats à la présidentielle, Le Pen et Fillon, qui ont brillé par leur manque de respect de l'administration. Marine, en accusant les fonctionnaires de soutenir le gouvernement et Fillon en criant à l'assassinat mené par l'administration, ont tous deux porté atteinte à l'administration, pilier de la République. Le quatrième aspect concerné est celui du rapport du citoyen aux institutions de la République. En appelant à un rassemblement ce dimanche à la place Trocadéro, François Fillon a voulu montrer qu'il dispose d'une base qui le soutient, certes, mais il veut aussi et surtout, utiliser cette manifestation pour dénoncer l'acharnement de l'administration contre lui. Là, on n'est plus dans la logique de l'atteinte à la République, on est passé carrément à son agression par le biais de l'agression de ses institutions. Jusqu'où peut donc aller une certaine classe politique en France? L'attaque des institutions de la République fait courir de gros risques à ce qui reste de cette même République en France. D'ailleurs, ce n'est pas par hasard si des voix du dehors de LR se sont mis à s'élever pour demander à Fillon de surseoir au rassemblement de dimanche. Tous ces aspects ont trait directement aux «choses de la République» et les questions s'y rapportant méritent d'être considérées car, aujourd'hui, en France, la République est malmenée par certains responsables de ce pays. Le cinquième aspect intéresse le rapport du citoyen à son parti. Il concerne donc la démocratie plus que la République. La situation de Fillon n'est pas enviable. Tous, y compris ses proches, le savent sauf lui qui ne veut pas «se résigner ou abdiquer» comme il le dit lui-même. Est-ce possible que l'ivresse de l'ambition du pouvoir fasse perdre à certains leur sens de la réalité, comme l'a dit un des proches de Fillon? Ou bien est-ce simplement un aveuglement dû à l'ambiance de la campagne? Il y a lieu de croire qu'il s'agit des deux à la fois. Mais là n'est pas le problème. Le problème c'est qu'en refusant de quitter la course, Fillon fait courir un risque majeur à son parti qu'il risque de laisser sans candidat pour le rendez-vous d'avril 2017. Est-il normal, j'allais dire digne, de continuer à s'entêter lorsqu'on sait qu'on met son propre parti devant le précipice? Certainement non. Cela donne une bonne idée de ce que comprennent certaines élites par «démocratie», par «parti» et par «militant». Par ailleurs, et en plus de ce risque, on voit qu'un autre risque se profile à l'horizon, celui de la division du parti LR à cause de la candidature de Fillon car les militants de ce parti sont soit pour soit contre la candidature de l'ex-Premier ministre. Certaines rumeurs rapportent que Sarkozy serait derrière cet entêtement de Fillon. «Il n'appartient qu'à toi, François, de décider, nous serons toujours derrière toi», lui aurait-il dit selon une animatrice de BFM TV. Si tel est le cas, alors Sarkozy aurait bien tenu sa vengeance et de fort belle manière car, n'oublions pas, c'est à lui que Fillon avait fait le reproche de se présenter alors qu'il avait été mis en examen. Aujourd'hui, à son tour, il l'aurait poussé à fond dans cette logique folle de vouloir rester malgré son éventuelle mise en examen à lui. La morale, c'est juste bon à faire aux autres. Sans plus! Encore une fois, quelles que soient les raisons qui ont poussé Le Pen et Fillon à s'élever contre la République, le plus important est de comprendre que leur comportement a fini par fissurer dangereusement le buste de Marianne!