Le troisième numéro prend pour thème la communauté émigrée Le numéro 3 de la revue annuelle Le Lien de l'Elco a paru fin février 2017. Il s'ouvre sur un éditorial signé par la ministre de l'Education nationale comportant à la fois des orientations éclairantes et un encouragement précieux. Ce numéro prolonge avec pertinence une réflexion engagée dès le premier numéro, relayée par le second et poursuivie par le numéro qui vient de paraître. Cette revue a d'abord ouvert en 2015 un débat riche et fécond sur le concept d'identité appliqué à une diaspora déracinée, la communauté algérienne en France. En 2016, le numéro 2 a brossé une rétrospective analytique fouillée et avertie sur un demi-siècle d'école algérienne. Le troisième numéro que voici, celui de 2017 prend pour thème la communauté émigrée dans sa dynamique, c'est-à-dire son désir de compréhension de son moi et de reconquête de ses racines, mais dans le même temps l'action qui en émane. Une communauté, à l'instar de nombreuses diasporas, porteuse en elle-même d'une culture ancestrale qu'il faut arrimer à un environnement culturel pas toujours compatible. D'où l'envie enfouie de renouer avec le terroir originel dans un va-et-vient psychologique qui peut être douloureux. Comme si l'émigré était appelé à traverser er retraverser continûment la Méditerranée, ainsi que le chantait le poète Slimane Azem qui a su rendre le mal-être de l'émigré balloté: Mi d nusa nebgha a-nughal Mi nughal nebgh'a ad nas A-nettruhu nettughal Am ifrax ifirellas Quand nous revenons, repartir nous voulons Quand nous repartons nous revenons à tire-d'aile Nous allons et revenons Pareils à des hirondelles Ce numéro 3 donc présente d'abord une étude de Maître Ali Haroun, ancien membre de la direction de la Fédération de France du FLN, sur l'apport de l'émigration au combat libérateur. Cette réflexion s'appuie sur des données historiques que l'auteur verse dans le débat en sa double qualité d'intellectuel et d'acteur. Il montre notamment comment les ouvriers algériens, majoritairement illettrés alors, ont su marquer l'Histoire en posant les jalons du mouvement nationaliste (Etoile Nord-Africaine, PPA, MTLD...) et en contribuant d'une manière décisive au financement de la Révolution algérienne et à son succès. Le professeur Noureddine Toualbi, ancien recteur de l'université d'Alger et actuel responsable de l'Elco, a engagé ici, en psychologue, une réflexion sur les stigmates que peut laisser le traumatisme que subit l'émigré quand il est agressé dans ce qu'il a de plus personnel, d'existentiel et d'intime: l'identité. On ne dira pas assez la souffrance morale et psychologique des centaines de milliers d'ouvriers algériens, surtout ceux de la première moitié du vingtième siècle, débarquant dans un pays où tout leur est étranger: les moeurs, la langue, le vêtement, les valeurs etc... L'article du professeur Toualbi nous emmène dans les méandres du conscient et de l'inconscient pour nous dévoiler une torture silencieuse et intérieure dont les effets peuvent impacter le behaviour même à retardement. Pour sa part, le professeur Youssef Nacib s'est interrogé, toujours en relation avec le statut d'émigré, sur la représentation du musulman dans la littérature et la pensée françaises. Il nous montre que si des érudits français de renom ont fait l'effort de regarder l'islam de près, de le comprendre et de respecter, maintes oeuvres littéraires à travers les siècles de l'Histoire de France ont volontiers ouvert un procès à charge contre la religion musulmane dans des schèmes où l'inculture le dispute à la doxa. Le problème alors n'est pas tant dans le fait qu'un écrivain critique ou caricature le message mohammédien, mais dans ce que l'oeuvre littéraire est dans les programmes scolaires et, partant, pétrit même inconsciemment les mentalités. D'où des affirmations souvent sans nuance qui ouvrent la voie à la xénophobie. Le professeur Ramdane Ouahès s'est intéressé à une autre catégorie d'Algériens émigrés: les chercheurs. Là aussi, chez nombre d'entre eux le souhait de renouer avec leur pays est à peine dissimulé. Mais les conditions de travail offertes chez eux ne se comparent pas avec celles que leur font miroiter les universités, les centres de recherche, voire les entreprises des pays riches et développés. L'article souligne l'impérieuse nécessité de la recherche-développement qui génère le progrès économique et social et de la recherche fondamentale, source des avancées scientifiques qui ont bouleversé la vie et impulsé la découverte de l'infiniment grand et de l'infiniment petit. Le texte comporte des recommandations autorisées que l'on serait avisé de lire et relire. On évoque aussi l'émigré avec le professeur Ali El Kenz qui revisite l'installation d'ouvriers algériens dans l'Ouest de la France dans les années des premières vagues migratoires et leur évolution à travers les décennies jusqu'à les examiner dans l'actualité d'une industrie vieillissante génératrice de chômage et surtout dans un environnement marqué par l'émergence de l'islamisme radical dont les sirènes parviennent aux oreilles d'une jeunesse émigrée que l'oisiveté fragilise au point de la rendre perméable au message fondamentaliste. Le texte laisse deviner ici les périls dont sont porteuses les cités périphériques qui risquent, si l'on n'y veille, de se muer en matrices du fondamentalisme. De son côté, Mohammed Khandriche, ex-chargé de cours en sociologie urbaine à l'Epau d'Alger, aborde la question de l'émigration algérienne sous un angle plus optimiste: il met le projecteur sur les heureuses initiatives franco-algériennes qui mobilisent des énergies de part et d'autre de la Méditerranée pour encourager les jeunes entreprises en Algérie à réaliser des projets sociaux marquants: construction de logements, développement agricole, formation de techniciens...Les mérites de l'Association Touiza qui oeuvre depuis des décennies au rapprochement des deux rives dans l'esprit des bâtisseurs. C'est ainsi que les émigrés renouent dans des activités porteuses avec leur pays d'origine en apportant non seulement des moyens matériels et financiers, mais un savoir-faire fructueux. Ce retour au pays pour contribuer à l'édification, la professeure Nadia Messaci, directrice de l'Ecole internationale algérienne en France, l'expose sous un autre angle: la construction de la maison par l'émigré dans son village d'origine. S'appuyant sur un article publié par Abdelmalek Sayad, l'auteure montre comment le bâti est dans une relation dialectique avec la génération de l'émigré et la culture traditionnelle du monde rural algérien. La pierre devient une sémiologique socio-anthropologique parlante pour dire les évolutions économiques (passage d'une agriculture villageoise à l'économie monétaire du salariat), mais aussi culturelles: le confort intérieur de la maison, le style architectural, les matériaux etc...qui supplantent une technologie traditionnelle millénaire et matériaux locaux. Ce lien avec le pays, la professeure Farida Ait-Ferroukh le saisit sur un plan artistique dans le rapport qu'établit le spectateur émigré avec l'artiste venu du pays se produire dans les salles et les théâtres de France. Les lieux d'accueil peuvent varier du café d'un émigré de banlieue à la salle pouvant contenir des milliers de spectateurs, l'ambiance de liesse et de catharsis est un invariant de ces retrouvailles entre l'émigré et les chansons qui ont bercé son enfance ou celle de ses parents qui lui en ont transmis la ferveur. Il y a lien, un «lien» fort que saisit Farida Ait-Ferroukh en psychothérapeute et anthropologue de la culture. Hocine Messedek qui dispense un cours de langue arabe à l'Ecole Internationale algérienne en France s'est penché, quant à lui, sur les problèmes que pose l'enseignement de la langue arabe en France quand il vise des enfants d'origine algérienne mais nés dans l'Hexagone et accoutumés à utiliser davantage la langue de leur environnement, c'est-à-dire le français que celle de leur pays d'origine. L'article comporte une réflexion sur le statut de la langue arabe en rapport avec le statut que fut le sien durant la période coloniale. Enfin, Djilali Sekhi, enseignant Elco, pose ici la question de l'enseignement de la langue amazighe en France, sachant qu'aujourd'hui cette langue est nationale et officielle selon la Constitution algérienne. Et, de fait, la question se pose avec acuité. D'un côté, cette langue a officiellement un rang analogue à celui de l'arabe et de l'autre, les enfants algériens en France n'y ont pas accès dans le système scolaire français puisque seul le mouvement associatif culturel accueille l'enseignement de tamazight.