Sommet de l'Union européenne à Malte le 3 février 2017 Les concessions au sujet d'une «Europe à plusieurs vitesses» devenue dans la Déclaration une Europe «à des rythmes différents» ou, pour la Grèce, d'un chapitre social «favorisant le progrès économique» seront-elles de nature à rassurer tout le monde et son père? C'est par une Déclaration solennelle que les dirigeants de l'UE ont renouvelé hier à Rome leur engagement européen, 60 ans après la signature du traité fondateur de l'Union dans la ville éternelle. Chacun des 27 chefs d'Etat et de gouvernement a ainsi paraphé le nouveau document, intitulé «Déclaration de Rome», dans la même «salle des Horace et des Curiace» où fut signé, six fois, le traité historique du 25 mars 1957, scellant la naissance de la Communauté économique européenne (CEE). Sauf qu'hier, ils étaient presque cinq fois plus à mettre leur nom sur le bas d'un texte qui risque fort de demeurer un voeu pieux même s'il est formulé avec la même encre qui servit à valider le premier document. Et pour cause, les sujets qui fâchent sont devenus bien plus nombreux que les motifs de satisfaction et, crise économique oblige, des pays comme la Grèce ou la Pologne rêvent, tout en s'en défendant publiquement, de suivre l'exemple de la Grande-Bretagne qui a choisi à la surprise générale, le Brexit, lancé mercredi prochain. «L'Union après Rome doit être, plus qu'avant, une Union des mêmes principes, une Union avec une souveraineté extérieure, une Union d'unité politique», a beau plaider Tusk. Au moment où le Royaume-Uni s'apprête officiellement à divorcer de ses partenaires, son lyrisme va laisser de marbre ses adversaires polonais qui ont véhément contesté le renouvellement de son mandat. Varsovie a néanmoins signé la Déclaration de Rome, après avoir agité le chiffon rouge, laissant en quelque sorte du répit à Bruxelles avant la véritable estocade. D'ailleurs, il suffit pour s'en rendre compte de bien examiner la photo de famille des 27 dirigeants européens sur la place du Capitole, dessinée par Michel Ange, où les visages contrits sont plus nombreux que les faces hilares. L'ombre du Brexit a plané constamment sur la cérémonie de renouvellement des voeux, plusieurs dirigeants ayant ces derniers mois guerroyé contre la montée des formations populistes, en Autriche, en Allemagne, au Danemark, aux Pays Bas et bientôt en France, avec un message anti-européen forcené. Les directives de Bruxelles sont considérées comme la première cause de l'effondrement de pans entiers de l'économie dans plusieurs pays du sud européen, et les peuples, tout en restant attachés à l'idéal d'unité et de solidarité, sont de moins en moins insensibles à l'argumentaire de l'extrême droite qui justifie l'insécurité, le terrorisme, le chômage et la mal-vie par les décisions extra nationales de la Commission européenne. «Il y aura un 100e anniversaire de l'UE», a prédit le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, mais son optimisme semble plutôt béat. Avenir commun, selon la Déclaration d'hier, Union une et indivisible est-il promis en guise d'incantation, le fait est que l'UE n' a jamais traversé une tempête aussi forte que celle de ces derniers mois, avec des vents de discorde à tout-va, le doute et la défiance au coeur des marées populaires de plus en plus nombreuses à se révolter contre «la tyrannie» de l'establishment bruxellois. A Rome même, pendant que les 27 dirigeants juraient la main sur le coeur leur engagement réitéré en faveur des objectifs de l'UE, il y avait 30.000 manifestants, pour l'essentiel de farouches opposants, qui ont tenu à y transporter le ras-le-bol de leurs peuples respectifs. Et le pape François lui-même n'a pas manqué, en recevant au Vatican tous ses dirigeants, de mettre en garde l'UE contre «le risque de mourir», faute de respecter «les idéaux des pères fondateurs», dont celui de la «solidarité qui est aussi le plus efficace antidote contre les populismes modernes». Ironie de l'histoire, Donald Trump qui incarne à l'excès le populisme triomphant et soutient avec enthousiasme le Brexit, s'est fendu malgré tout d'un message de félicitations assorti d'un appel à oeuvrer en commun pour promouvoir «la liberté, la démocratie et l'Etat de droit». Retrait du Royaume-Uni, vagues déferlantes de migrants, montée du chômage et aggravation de la paupérisation des pays du sud européen dont la France, attaques terroristes multiples et montée de l'extrémisme. Ce sont autant d'ingrédients qui minent le projet et exigent la mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie. Les concessions au sujet d'une «Europe à plusieurs vitesses» devenue dans la Déclaration une Europe «à des rythmes différents» ou, pour la Grèce, d'un chapitre social «favorisant le progrès économique» seront-elles de nature à rassurer tout le monde et son père? Le texte a beau être ciselé, il y a de la marge entre l'intention et l'action et certains pays veulent le mettre à l'épreuve des vagues de migrants que l'UE souhaite répartir «équitablement».