L'Amitié d'Exxon n'est pas celle du secrétariat d'Etat «Désormais, nous réagirons fermement à toute agression contre la Syrie et à toute violation des lignes rouges», a promis, dans un communiqué, la «chambre d'opérations conjointes», un organe présent en Syrie qui regroupe la Russie, l'Iran et les forces «alliées»... Hier, le secrétaire d'Etat Rex Tillerson était à Moscou, pour y poursuivre la partie de bluff qui a commencé avec les frappes américaines contre la base aérienne d'al-Chaayrate. Qualifié par la presse américaine et les milieux démocrates de «pro russe», l'ancien patron milliardaire d'Exxon Mobil, décoré en 2013 de l'ordre de l'Amitié par Vladimir Poutine en personne, a vite fait, tout comme Donald Trump, de changer de ton face aux alliés de la Syrie, Moscou et Téhéran. Après avoir déclaré ne plus faire du départ du président syrien une priorité, il y a juste une semaine, les Etats-Unis ont brutalement changé de position depuis l'attaque chimique contre Khan Cheikhoun, imputée au régime syrien, ayant fait au moins 87 morts dont des dizaines d'enfants. «Il n'existe aucune option où une solution politique pourrait intervenir avec Assad à la tête du régime», a déclaré hier l'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley, sur la chaîne de télévision CNN. «Nous pensons qu'un changement de régime est quelque chose qui va arriver», a-t-elle poursuivi, ajoutant toutefois que Washington reste aussi focalisé sur la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique et sur les moyens de mettre fin à l'influence iranienne dans la région. L'ambassadrice américaine avait en outre menacé vendredi d'une nouvelle frappe militaire, exigeant du gouvernement syrien et de ses alliés de souscrire à la nouvelle ligne rouge fixée par l'administration Trump. La réponse des alliés du président Bachar El Assad n'a pas tardé. Un temps pris de court par l'attaque américaine, dont Moscou avait été prévenu «pour éviter tout incident», l'Iran et la Russie ont à leur tour fixé leurs propres lignes rouges face aux menaces des Etats-Unis. «Désormais, nous réagirons fermement à toute agression contre la Syrie et à toute violation des lignes rouges», a promis, dans un communiqué, la «chambre d'opérations conjointes», un organe présent en Syrie qui regroupe la Russie, l'Iran et les forces «alliées», dont le Hezbollah. «Les Etats-Unis connaissent parfaitement nos capacités à réagir», poursuit le communiqué paru dans le site d'al-Watan, un quotidien syrien proche du gouvernement. Visiblement, les deux camps sont en train de se tester, tout en fourbissant les armes pour le cas où, sachant pertinemment que le bras de fer transcende complètement l'enjeu syrien et peut déboucher sur une conflagration mondiale. Washington veut d'abord et surtout reprendre son rôle de leadership et démontrer que son hégémonie, un temps contestée durant l'administration Obama, redevient manifeste. C'est pourquoi les menaces de représailles et de redistribution des cartes vont au-delà de la seule personne de Bachar al Assad et de la Syrie qui doit revenir aux factions rebelles et terroristes dans la logique occidentale pour inclure l'Iran qui, on le sait, obsède Israël et ses lobbies aux Etats-Unis et en Europe. Pragmatique, la diplomatie US vise dans un premier temps le président syrien et proclame qu'il n'y a «pas de solution en Syrie sans le départ de Bachar al Assad», lors de la réunion hier du G7, élargie à plusieurs pays arabes (Qatar, Jordanie, Emirats arabes unis, Arabie saoudite) et Turquie. Ce revirement n'est pas fortuit, même si, officiellement, il résulte de l'attaque de Khan Cheikhoun. Il permet de revenir à la case départ, avec la remise en cause des négociations aussi bien à Astana, au Kazakhstan, soutenues par la Turquie d'Erdogan, qui n'en est pas à sa première volte-face, que de Genève, sous l'égide de l'ONU dont le représentant spécial, Staffan de Mistura, estimait voici deux semaines à peine qu'elles s'annonçaient sous de bons auspices. Tout se passe dès lors comme si les puissances occidentales et leurs alliés du Golfe, dans le sillage des groupes rebelles et terroristes en Syrie, s'efforcent d'empêcher coûte que coûte toute solution politique non conforme à leurs desseins, préférant la poursuite de la guerre qui sert des intérêts sous-jacents. Les arrière-pensées de Rex Tillerson, ami inconstant de la Russie, déterminent les nouveaux rapports que l'administration Trump entend imposer à Moscou. Connu pour être très proche du président Vladimir Poutine, le secrétaire d'Etat s'est employé sans doute à convaincre son homologue Sergueï Lavrov de la nécessaire inflexion de la stratégie russe, en sacrifiant tout d'abord la personne du chef de l'Etat syrien Bachar al Assad. Chose que Moscou peut difficilement entériner, compte tenu des efforts fournis depuis septembre 2015 quand les factions terroristes menaçaient la base maritime de Tartous et les intérêts majeurs de la Russie en Méditerranée. Le plaidoyer de Tillerson aura sans doute été suivi avec politesse par les dirigeants russes, de même que son exposé sur les nouveaux fondements de la doctrine hégémonique des Etats-Unis, tels que mis en oeuvre par Donald Trump dont l'élection avait été accueillie avec une certaine satisfaction à Moscou même.Preuve de la circonspection des dirigeants russes, le secrétaire d'Etat américain a eu droit à un tête-à- tête avec le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, mais il n'a pas été reçu par Vladimir Poutine, conformément à l'agenda établi précédemment par le Kremlin. Il n'empêche, Washington croit dur comme fer que les Russes sont incapables de relever le défi et ne craint, par conséquent, aucune riposte de leur part. Aussi, l'émissaire de Trump s'emploie-t-il à donner des leçons au Kremlin et à «exiger» une flexibilité de la diplomatie jusque-là tracée par le président russe. C'est ce qui a conduit Rex Tillerson à manifester bruyamment sa confiance dans l'issue de ses entretiens avec Sergueï Lavrov: «Je pense que nous pouvons avoir des échanges constructifs avec le gouvernement russe, avec le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov et obtenir le soutien de la Russie à un processus conduisant à une Syrie stable», avait-t-il déclaré dimanche sur la chaîne ABC. On saura très vite quelle aura été la teneur de ces discussions, puisque vendredi prochain, après cette rencontre Lavrov - Tillerson, une réunion est prévue entre les responsables de la diplomatie russe, syrienne (Walid Mouallem) et iranienne (Mohamad Javad Zarif), à Moscou. Accusé par Hillary Clinton d'être la «marionnette» de Poutine durant la campagne présidentielle, Donald Trump s'est affranchi de cette donne grâce à l'attaque de Khan Cheikhoun, mais il doit désormais s'inscrire durablement dans cette logique, en faisant monter sans cesse les enchères. Face à lui, Vladimir Poutine a déjà fait valoir, dans un contexte qui «rappelle le début de l'opération US en Irak en 2003», que «la Russie possédait des informations provenant de sources fiables, selon lesquelles il y aura d'autres provocations concernant les armes chimiques en Syrie, y compris dans la banlieue-sud de Damas». Cherchez à qui profite le crime...