Politique hors pair, Bouteflika a prouvé hier qu'il maniait à merveille l'art de la philosophie et de la rhétorique. L'Algérie, pour la première fois de l'histoire de l'association internationale de recherche interculturelle, abrite son congrès, dixième du nom. C'est également la première fois qu'un Etat de l'hémisphère sud de la planète en est l'hôte. Ce n'est donc pas un hasard si le chef d'Etat a accepté d'en assumer le patronage, mais aussi de prendre en considération les recommandations qui ne manqueront pas d'en émaner. Cela a également été une occasion pour Bouteflika de faire un discours de haute facture dans lequel il a affiché quelques craintes, mais aussi certaines réserves pour ce qui est de la mise sur un pied d'égalité des partages des cultures et du savoir. Aux yeux du président, en effet, «il n'est pas sûr que cultures et savoirs scientifiques et technologiques, même si leurs connexions sont patentes, appartiennent au même registre de déploiement de l'humaine condition dans l'espace-temps du monde». Le savoir demeure ainsi plus universalisable que la culture, laquelle est une composante inaliénable de l'histoire et des expériences de chaque population. Bouteflika, dans une longue tirade, rappellera celle du Maghreb, enchaînant sur le rôle déterminant qu'a joué cette région depuis toujours, jusqu'aux luttes d'indépendances que celle de l'Algérie avait rendu possible en 1954. D'où la déclaration de Bouteflika dans un discours adopté par les congressistes comme «document de travail», consistant à dire que «le partage des cultures et le partage des savoirs signifient des processus radicalement différents». Ce n'est pas tout. Se montrant pessimiste, tout en sachant garder des proportions raisonnables, Bouteflika ajoutera que «la notion même de partage, pour attrayante et sympathique qu'elle soit, relève à certains égards d'un angélisme universaliste qui ne s'est que rarement manifesté dans l'histoire et qui n'a plus cours du tout dans le monde d'aujourd'hui». Et c'est précisément là que résident une bonne partie des craintes qu'affiche le président Bouteflika. Il précise en effet que son «inquiétude tient au fait qu'il (me) semble que la chaîne des hommes et des , pont entre les deux rives de la Méditerranée est en train de se rompre, que la rive nord ne produit plus d'individualités historiques porteuses d'une interculturalité généreuse et exigeante tandis que les rares voix qui subsistent au Maghreb, en particulier Fatima Mernissi et Mohmed Talbi, rencontrent peu d'écho et induisent peu de débats féconds sur chacune des deux rives et entre les deux rives». La situation paraît tellement grave que des risques énormes guettent peut-être la rive sud de la méditerranée. C'est ce que met en avant Bouteflika qui précise que «l'horizon d'une interculturalité positive semble aujourd'hui barré entre les tenants de la modernisation de l'islam auxquels répondent dans un même élan fait de simplisme et de confusion les tenants de l'islamisation de la modernité, alors que les risques effectifs que courent les sociétés maghrébines, la société algérienne en particulier, est celui d'une occidentalisation sans modernisation, celui d'une indiénisation qu'elles avaient su et pu conjurer à l'époque de la domination coloniale». Bouteflika termine quand même sur une note optimiste en se déclarant convaincu «que l'humanité n'est condamnée ni à une uniformisation par la démocratie de marché chère à Fukuyama, ni à ce trop fameux choc des civilisations prédit par Huntington». Ainsi soit-il...