Ce devait être une manifestation pacifique pour fêter la victoire des alliés sur le nazisme. Ce devait être aussi l'occasion pour les Algériens - dont beaucoup furent de la «chair à canon» durant le conflit mondial - de clamer eux aussi leur soif de liberté. Las! Ce furent les massacres du 8 mai 45... A Sétif, Amoucha, Aïn El Kebria, Beni Aziz et ailleurs, des milliers de personnes périrent sous les armes des forces de l'occupation aidées par les colons. Nous sommes au mois de mai 1945, à Sétif. La journée du 3 de ce mois tirait à sa fin alors que les militants de PPA se rassemblèrent pour passer le mot d'ordre émanant de la direction nationale et portant sur l'organisation d'une manifestation générale le 8 mai, la date même où les Européens s'apprêtaient à fêter la victoire des alliés sur l'armée nazie. Le jour «J» arriva, le mardi 8 mai fut un jour de marché à Sétif. Des milliers de personnes de différentes contrées se sont donné rendez-vous, tôt le matin à proximité de la mosquée de la cité de la Gare (Abou Dhar El Ghafari) pour exprimer leur désir de manifester à leur tour, mais contre l'oppression coloniale. Il était à peine sept heures et demie, la foule continue de prendre au fur et à mesure des proportions considérables. Certains citoyens avaient répondu à l'appel lancé par le SMA et le PPA, alors que d'autres étaient là par hasard. Ces derniers composés essentiellement de paysans, d'ouvriers et de khamas étaient là initialement pour le marché et rejoindre ensuite le lieu du rassemblement. L'atmosphère devenait fébrile et le lieu était devenu trop exigu pour contenir la foule grandiose. Au même moment une brigade de police effectuant une tournée sur les lieux, constatait le rassemblement «non autorisé» des Algériens. Ils informaient immédiatement leurs chefs, réunis non loin de là, au siège du commissariat central. Ces derniers agissaient sans attendre, donnant ainsi des instructions formelles à leurs éléments de se dépêcher aux points sensibles de la ville prêts à intervenir à tout moment. Quelques minutes plus tard, plusieurs éléments actifs connus par leurs positions politiques et leur influence sur la population, furent convoqués d'urgence par le sous-préfet, parmi eux figuraient Hassen Belkired, Guenifi Mahmoud, Abdelkader Yala et Hafad Hocine. Ces responsables furent alors soumis à un véritable interrogatoire et beaucoup d'intimidations de tout genre. On leur reprochait d'exposer les enfants scouts à un danger certain, et leur refus de se joindre aux Européens qui s'apprêtaient à fêter l'armistice dans l'après-midi même. Avant d'avoir l'accord du sous-préfet pour une marche pacifique, les convoqués évoquaient alors le prétexte d'un jour de marché et d'une forte affluence qu'il fallait mettre à profit, sans pour autant hésiter à répliquer que la population avait besoin de défiler à sa manière, pour exprimer son aspiration à la liberté. Une fois relâchés, les responsables et animateurs de cette marche rejoignaient le lieu du rassemblement, d'où devait partir le cortège. L'affluence grandissait au fur et à mesure. Les encadreurs de ce défilé redoublaient les appels au calme et insistaient sur le caractère pacifique que devait revêtir cette initiative. Les mots d'ordre avancés par les militants du PPA étaient axés sur l'indépendance du pays et la libération des détenus politiques. Il fallait surtout agir dans une discipline exemplaire et ne pas répondre à d'éventuelles provocations. Tous les manifestants avaient abandonné cannes, matraques et armes blanches au seuil de la porte de la mosquée. L'unique objectif c'est de montrer à l'occupant une grande force sans l'utiliser. Une action purement politique. Neuf heures quinze minutes, la marche démarra, précédée par les femmes et les louveteaux scouts du groupe «El Hayat», mais dans la mains, pour affirmer encore une fois la volonté de manifester pacifiquement. Les militants du PPA qui brandissaient outre les drapeaux des alliés, portaient également des banderoles dont les slogans disaient «Vive l'Algérie libre», Libérez les détenus politiques» «A bas le colonialisme». Le jeune Saâl Bouzid (22 ans), un autre militant du PPA, et qui aura l'honneur, quelques minutes plus tard, de devenir le premier martyr de ces événements, eut le courage et l'honneur à la fois de porter l'emblème national qui flottait bien haut en tête du défilé. Le cortège s'ébranla dans le calme. Des poitrines des jeunes scouts s'élevaient les chants de «Min djibalina» «Hayou chamal El Ifriqui» accompagnés par les youyous des femmes. Il y avait une grande marée humaine. La tête du cortège atteignait déjà l'actuel lycée Kerouani (ex-Albertini) alors que les derniers manifestants n'étaient pas encore partis du lieu du rendez-vous. Arrivés à la hauteur de l'ex-café de France, c'est à ce moment que le commissaire de la police judiciaire de Sétif, Olivier, accompagné d'un groupe d'ultras coupèrent le chemin aux manifestants et tentèrent de retirer le drapeau algérien des mains du jeune Saâl Bouzid. Ce dernier résista et s'accrocha de toutes ses forces entouré des manifestants qui s'y opposèrent énergiquement. Cet acte héroïque a valu le courroux et la haine du commissaire qui vida sans hésiter le chargeur de son PM sur Bouzid, ce dernier s'écoula tout en chantant dans ses derniers soupirs «Tahia El Djazaïr». Cet assassinat provoqua à cet instant la panique générale. Un autre militant prit le drapeau, puis, ce fut l'affolement. Les manifestants essayèrent tant bien que mal de fuir le lieu du crime en se dirigeant vers le souk. Cinquante mètres plus loin, un autre manifestant Khalfi Kheïr tomba sous les balles d'un autre policier et le massacre s'ensuivit par une intervention musclée des forces de police, c'est à ce moment que l'appel au djihad fut lancé. A onze heures, le calme était rétabli dans la ville. Mais la nouvelle rapportant les faits survenus la journée à Sétif dans les localités limitrophes fut vite répandue et c'est vers 17 heures, qu'un millier de paysans armés de gourdins et autres armes étaient aux portes de la ville. Ils réclamaient vengeance et l'organisation de la résistance armée. Les jours qui suivirent, les Algériens ont subi une des plus atroces répressions. Les troupes sur place ont vu l'arrivée d'un détachement militaire et la chasse au musulman constituait dès lors le mot d'ordre. Sétif, El Ourissia, Bougaâ (La Fayette), Aïn El Kebira (Perigot ville), Beni Fouda (Sillègue), Aïn Abassa et Beni Aziz (Chevreuil) ont été transformés en une immense morgue. La suite des événements a donné lieu à de nombreuses arrestations, emprisonnements. Un nombre incalculable de morts gisaient à travers toute la région laissant toute une population déchirée de peine et «machinée» par l'horreur qui y régnait. Plus grave était le recours aux fosses communes pour occulter le crime odieux mené à terme au moyen d'avions, de tanks et de napalm. La barbarie de l'occupant a tué, brûlé, massacré des milliers d'Algériens sortis avec le rêve de voir un jour leur pays libre et indépendant. Des cris de joie qui ont initié le mardi 8 mai au soir n'en restaient que des pleurs, la désolation et le sang de quarante-cinq mille Algériens sacrifiés.