Al Serraj et Haftar ont posé pour la photo officielle mardi à Abou Dhabi Les EAU se sont dits, à l'occasion, «optimistes» quant à une prochaine solution entre les deux principaux protagonistes du conflit, appelant du même coup l'ONU à désigner un nouvel émissaire spécial pour ce pays, en remplacement de Martin Kobler. Une rencontre à huis clos, mardi dernier, a eu lieu à Abu Dhabi, dans les Emirats arabes unis. De façon impromptue, et sans qu'aucune information ait préalablement circulé sur cette donne pourtant essentielle dans la crise qui secoue depuis plus d'un an la Libye, le chef du gouvernement d'union nationale Fayez al Serraj et le chef de l'Armée nationale libyenne autoproclamée Khalifa Haftar se sont rencontrés pour discuter du plan de règlement proposé par la médiation onusienne et soutenu par l'Algérie.Les EAU se sont dits, à l'occasion, «optimistes» quant à une prochaine solution entre les deux principaux protagonistes du conflit, appelant du même coup l'ONU à désigner un nouvel émissaire spécial pour ce pays, en remplacement de Martin Kobler dont la mission s'est achevée fin 2016. Pour les émiratis, cette rencontre tant attendue suscite non seulement de l'optimisme, mais elle représente aussi «un pas important dans le processus politique du pays».On sait combien l'Algérie a pesé en faveur de cette démarche, à titre unilatéral et dans le cadre élargi de l'Union africaine (Groupe des pays voisins) et de la Ligue arabe. Comme on sait également les tentatives de l'Egypte, soutien manifeste du maréchal Haftar, de parvenir à une rencontre entre les deux hommes, la dernière ayant capoté au Caire voici tout juste deux mois. Est-ce donc par hasard que le maréchal Abdel Fattah al-Sissi a débarqué hier à Abou Dhabi pour une visite de travail de deux jours ou ne serait-ce pas pour y préparer un plan de bataille pour les mois à venir auquel auraient souscrits les deux protagonistes, à charge pour eux de ramener, chacun en ce qui le concerne, les clans et les groupes armés qui les soutiennent? On imagine mal le Parlement de Tobrouk avaliser les hypothèses de travail entre Haftar et Al Serraj sans y apporter leur condition initiale, mais comme on ne sait pas exactement sur quoi ils se sont entendus pas plus qu'on ne connaît l'ordre du jour de leur entretien, on peut raisonnablement s'attendre à quelque progrès de part et d'autre dans la prise en charge des revendications et des attentes des factions de l'Est et de la Tripolitaine. Auquel cas les Emirats arabes unis auront engrangé, sans crier gare, les dividendes d'une médiation sans doute souterraine, mais au final surprenante par son opportunité et son succès apparent. Ce qui signifie, en clair, que le travail opiniâtre et les efforts considérables de la diplomatie algérienne ont simplement contribué à baliser le terrain pour une partie inattendue, mais efficace quand il s'agit de tirer les marrons du feu.La preuve, ce sont les EAU qui «soulignent la nécessité de nommer un nouvel émissaire de l'ONU en Libye», Kobler étant récusé dans des termes peu diplomatiques par le turbulent maréchal Haftar. Et c'est encore non sans une certaine élégance qu'ils reconnaissent (!) que «l'ONU et son émissaire ont joué jusqu'ici un rôle significatif dans le processus politique», avant d'ajouter que «pour garder un rôle de soutien aux efforts visant à mettre fin à la crise libyenne, la communauté internationale doit nommer un nouvel émissaire en Libye».Voilà ce qui s'appelle instruire l'ONU sans chichi. C'est pourtant oublier un peu vite que le secrétaire général de l'ONU, à peine installé, a proposé le Palestinien Salam Fayyad pour remplacer l'actuel émissaire Martin Kobler avant que les Etats-Unis de Donald Trump ne lui opposent leur veto, avec les félicitations démonstratives d'Israël. Le cri de victoire des EAU reste malgré tout à relativiser car les milices de Misrata et de Zintan n'ont pas dit leur mot quand on sait que l'exigence première de Haftar et de ses alliés de Tobrouk, Parlement et gouvernement non reconnus compris, les concernait au premier chef. Et sans ces milices auxquelles les Etats Unis ont apporté leur aide à coups de drones pour vaincre l'Etat islamique à Syrte, Fayez al Serraj ne serait jamais parvenu à s'installer durablement à Tripoli. Jouer leur sort sur la table de négociations émiratie est un acte ni plus ni moins que suicidaire pour le président du Conseil présidentiel dont l'existence légale est conditionnée par l'accord éventuel en faveur des élections présidentielle et législatives annoncées, depuis bientôt un mois, par le Parlement de Tobrouk en 2018.C'est la deuxième fois depuis janvier 2016 que les deux hommes se rencontrent grâce, indique l'agence libyenne dépendant des autorités de l'Est, «à une médiation internationale et arabe». Le fait est que le 26 avril dernier, une autre délégation a été accueillie à Rome pour des discussions entre Haftar et Ghweil, toujours en ce qui concerne les élections pressenties en 2018. Fortement pressées par le gouvernement italien, les deux délégations n'ont pas communiqué sur la teneur de leurs échanges.En l'état des choses, on peut penser que l'objectif de ces réunions concerne toujours la nécessaire révision de l'accord politique inter libyen de décembre 2015, conclu sous l'égide de l'ONU et par le biais duquel le GNA a été mis en place. Confronté à l'hostilité de Haftar et des autorités de l'Est, Al Serraj n'est pas parvenu à instaurer son autorité sur l'ensemble de la Libye malgré le soutien de la communauté internationale, de sorte que la Libye reste, encore aujourd'hui, engluée dans une crise profonde, au plan économique et sécuritaire tout autant qu'au plan politique. Face à lui, Haftar qui a effectué voici deux semaines un séjour discret aux Emirats a pris conscience du mécontentement de ses soutiens égyptien, émirati et russe du fait de son intransigeance. Il a ainsi assoupli sa position, lorgnant vers la présidentielle début 2018, quitte à provoquer le courroux des milices de l'Ouest qui refusent catégoriquement de le voir jouer un rôle sécuritaire ou politique majeur en Libye. Ce qui revient à noter que cette rencontre, pour aussi surprenante qu'elle puisse être et même si elle postule à relativiser la position et les efforts de l'Algérie et des pays voisins qui, quoiqu'on puisse penser, ont leur mot à dire dans une crise à l'impact évident sur leur propre sécurité, est malheureusement loin d'être réglée. Ce sera chose évidente au cours des semaines qui viennent.