La crise politique qui secoue depuis des mois l'Afrique du Sud a plané toute la semaine sur les discussions des dirigeants politiques et patrons réunis pour le «Davos africain», inquiets de l'instabilité qui s'est emparée de la première économie du continent. Plus d'un mois après le remaniement controversé qui lui a coûté sa place, le limogeage du respecté ministre sud-africain des Finances Pravin Gordhan n'en finit pas de faire des vagues. La décision du président Jacob Zuma a conduit des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour exiger sa démission. Elle a aussi valu à son pays une rétrogradation au rang d'investissement «spéculatif» de la part de deux des trois agences internationales de notation financière. Les hommes d'affaires qui se sont croisés jusqu'à hier à Durban (Est) dans le cadre du Forum économique mondial sur l'Afrique se sont largement fait l'écho des appréhensions des marchés quant à l'avenir de l'économie sud-africaine. Le pays tourne déjà au ralenti (+0,3% de croissance en 2016) et le chômage frappe plus d'un quart de sa population active. «Ce remaniement et les développements qui l'ont suivi me rendent nerveux», a confié Alexis von Hoensbroech, responsable ventes et produits du géant allemand du transport aérien de marchandises Lufthansa Cargo. «Les investisseurs ne trouvent pas ici la stabilité qu'ils souhaitent», a-t-il relevé. «Il y a des inquiétudes quant au climat actuel», a lui aussi noté Ulrich Spiesshofer, patron du groupe industriel suisse ABB. Le remaniement controversé du 31 mars a révélé au grand jour les divisions qui fracturent depuis des mois déjà le Congrès national africain (ANC), au pouvoir en Afrique du Sud depuis la chute officielle de l'apartheid en 1994. Depuis de longs mois, le parti de feu Nelson Mandela est écartelé entre le clan Zuma, accusé de piller les deniers publics, et une faction incarnée par M. Gordhan et le vice-président Cyril Ramaphosa qui prêche rigueur budgétaire et transparence. Dernier épisode en date de cette féroce bataille, le remodelage du gouvernement s'est soldé par l'arrivée en force de proches partisans du chef de l'Etat, dont le remplaçant de Pravin Gordhan au portefeuille du Trésor, Malusi Gigaba. Outre des manifestations de rue, l'opposition sud-africaine a porté l'affaire sur le terrain politique en déposant une nouvelle motion de défiance contre Jacob Zuma au Parlement. Le débat sur cette motion, dont la date est suspendue à une décision de la Cour constitutionnelle, nourrit le climat d'instabilité qui pèse sur le sommet de l'Etat. A Durban, M.Gigaba s'est efforcé de rassurer ses invités. «L'ANC détient 62% des sièges à l'Assemblée nationale. Il n'y a franchement aucune chance pour que la motion de défiance soit votée. Beaucoup ont été déposées depuis 2009, aucune n'a été adoptée», a répété le ministre à ses interlocuteurs. «Le gouvernement d'Afrique du Sud est là et il restera en place jusqu'aux prochaines élections générales en 2019», a-t-il martelé. Jacob Zuma lui-même, présent à Durban, a tenu à y minimiser l'agitation politique provoquée par son remaniement. «J'ai nommé des gens jeunes (...) bien sûr certains ont contesté ma position, mais c'est la démocratie», s'est-il amusé. Certains analystes, eux aussi, tablent sur un apaisement. «La controverse politique n'est pas un phénomène nouveau en Afrique du Sud», note Ryan Cummings, du cabinet Signal Risk. La fronde ne semble toutefois pas encore près de s'éteindre. Même déchargé de tout mandat officiel, Pravin Gordhan continue à courir les estrades pour s'inquiéter du chemin pris par son pays. «Combien de temps faudra-t-il pour passer de la corruption au sens général à une véritable kleptocratie», s'est-il inquiété jeudi. Quant à l'opposition, elle utilise tous les moyens à sa disposition pour mettre en cause Jacob Zuma.