Le débat sur l'amnistie générale et la réconciliation nationale prend de l'ampleur depuis quelques semaines. Les interventions sur le sujet se font quotidiennes. Les partisans de l'amnistie telle que proposée par le chef de l'Etat, trouvent à l'initiative présidentielle beaucoup de mérite. Cependant, une autre frange de la société civile, même si elle admet le principe de l'amnistie, conditionne celle-ci par des préalables tant politiques que juridiques. Ali Yahia Abdenour, président de la Ligue algérienne de la défense des droits de l'homme, et Farouk Ksentini, à la tête de la Commission nationale de promotion des droits de l'homme, sont les principaux animateurs de ce débat et représentent les deux courants qui s'affrontent par presse interposée. Dans ces courts entretiens que les deux défenseurs des droits de l'homme en Algérie ont bien voulu nous accorder, les deux sons de cloche sur le thème de l'amnistie y sont développés. M. Farouk KESENTINI, Président de la commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l´homme. «Une démarche courageuse» L'Expression: Le débat sur l'amnistie générale devient de plus en plus chaud à la faveur de plusieurs avis émis de part et d'autre. Comment évaluez-vous la suggestion du président? M.Farouk Ksentini:Effectivement, le débat devient des plus chauds ces derniers jours, car la question de l'amnistie est d'intérêt national. En ce qui me concerne, je trouve la proposition du président de la République courageuse et extrêmement positive, d'autant plus qu'elle intervient dans une phase cruciale caractérisée par des nouvelles donnes nationales et internationales. Il faut que vous sachiez aussi que j'ai toujours applaudi cette démarche. C'est un signe révélateur des préoccupations du président Bouteflika quant à l'avenir du pays. Certaines organisations non gouvernementales (Ong) n'ont pas hésité à revenir en Algérie après de longues années d'absence. Comment qualifiez-vous le retour de ces Ong et sont-elles habilitées à se prononcer sur le projet de l'amnistie? Primo, je considère que le retour de ces organisations est tout à fait normal, car l'Algérie a été et demeure un pays ouvert. Par ailleurs, je demande à ces Ong de faire preuve d'objectivité et d'impartialité. Or elles n'ont jamais, du moins jusqu'ici, été objectives dans leur travail par rapport à ce qui s'est passé en Algérie. Elles ont versé dans une campagne ironique contre l'Algérie et tous les rapports qu'elles ont rédigés ont été contraires à la réalité vécue durant la dernière décennie. Quant à leurs avis par rapport à la question de l'amnistie, je pense que c'est un problème national et une question qui relève de la souveraineté de l'Algérie. Cependant, nous sommes prêts à les entendre s'ils pensent vraiment que le projet de l'amnistie est contraire au principe des droits de l'Homme. De notre côté, nous avons nos arguments qui attestent la crédibilité de la démarche et c'est à eux de prouver le contraire. Je répète encore une fois que l'amnistie repose sur des considérations acceptables, et bien évidemment, le dernier mot revient au peuple algérien. Certains juristes relèvent la carence d'un vide juridique expliquée par l'absence d'une loi et/ou décret devant accompagner le projet de l'amnistie. Etes-vous de cet avis? C'est possible qu'il y ait un vide juridique, mais on peut le combler. Quant à la question de savoir s'il y a une loi qui est en train de se faire actuellement, je crois qu'il y aura nécessairement une loi qui devrait, comme vous l'avez dit, accompagner la mise en application du projet de l'amnistie. Certaines personnes appartenant auparavant à des organisations terroristes ont accueilli favorablement la démarche du président de la République. Comment qualifiez-vous cette réaction? Honnêtement je trouve cette réaction positive. Cela prouve encore une fois que le débat sur l'amnistie est un débat de société d'intérêt national impliquant toutes les franges ayant souffert de la crise. C'est un signe révélateur aussi de l'existence d'une réelle volonté d'en finir avec cette crise et de reprendre la vie normale. L'amnistie doit toucher toutes ces parties et je crois que c'est l'objectif ambitionné par le président Bouteflika en proposant son projet qui tend, sans doute, à mettre fin à la violence et à réconcilier les Algériens avec eux-mêmes. Ali Yahia ABDENOUR, Président de la ligue algérienne pour la défense des droits de l´homme. «Il faut une solution politique»/B L'Expression: Le projet de l'amnistie générale, proposée par le président de la République ne cesse de susciter un débat contradictoire, compte tenu de la divergence des avis, votre point de vue, paraît-il, est hostile à cette démarche. M.Ali Yahia Abdenour: Je crois que le président de la République ne s'est pas bien exprimé, il attend du peuple qu'il revendique ouvertement cette question. Or, il faut qu'on sache qu'un problème fondamental se pose, il existe bel et bien des principes internationaux et nationaux à respecter. La proposition du président est une solution sécuritaire du fait qu'elle est destinée uniquement à des personnes précises. Je pense que c'est le même cas que la loi sur Er Rahma qui fait appel aux terroristes pour qu'ils déposent les armes. Même chose aussi pour la concorde civile qui est destinée, rappelons-le, aux éléments de l'AIS. Il faut, à mon avis, que l'amnistie soit une suite logique de l'instauration d'abord de la paix qui est conditionnée par la recherche de la vérité sur les crimes commis. C'est-à-dire, que la crise algérienne soit abordée dans sa dimension politique. La solution doit être politique impliquant toutes les parties concernées. Comment qualifiez-vous la réapparition des ONG sur le territoire algérien après l'avoir «boudé» des années durant. L'on dit aussi qu'elles sont là pour mettre en cause le projet du président, sont-elles réellement habilitées à se prononcer sur cette question? Tout d'abord, il faut que tout le monde sache que ces organisations ont été interdites de rentrer en Algérie. Pourtant elles ne cessaient de revendiquer l'autorisation pendant les années du terrorisme. Nous sommes pour une paix durable et nous l'avons réclamé à Sant'Edigio, mais ce que nous voulons exactement c'est une paix avant l'amnistie. En termes clairs, il faut mettre fin au terrorisme pour passer ensuite à l'amnistie. Quant à ces ONG dont on dit qu'elles sont là pour mettre en cause l'amnistie, j'ai reçu Amnesty International et nous attendons que le président rentre pour les voir. Ce qui est important à rappeler c'est que les droits de l'homme sont un problème universel et il est normal aussi que les ONG interviennent dans tous les pays du monde là où les droits de l'homme sont bafoués. Des voix s'élèvent, revendiquant l'élaboration d'une loi devant accompagner le projet de l'amnistie, mais aussi devant garantir sa réussite, qu'en pensez-vous? Je pense que le problème ne se pose pas ainsi. Il est important, par ailleurs, de voir si cette loi qu'on revendique pour accompagner le projet de l'amnistie poursuivra, à la fois, les gens armés et les agents de l'Etat accusés d'avoir été à l'origine de certains crimes, comme l'exigent les principes des droits de l'homme. Certains représentants de la société civile et des émirs ayant été auparavant à la tête de groupes terroristes se sont déclarés favorables à la mise en oeuvre du projet de l'amnistie générale, comment jugez-vous cette attitude? Les gens sont libres de dire ce qu'ils veulent. Pour ce qui nous concerne, nous voulons expliquer qu'il faut instaurer et maintenir une paix durable à travers l'implication de tout le monde et l'éradication des causes de la crise. Nous voulons, en d'autres termes, un règlement total qui ne peut se faire sans paix. Les révélations des gens de l'AIS allant dans le sens de soutenir le projet de l'amnistie, ne suffisent pas. Il faut, cependant, dire à tous les terroristes de déposer les armes, mais il faut également entendre les autres franges de la société, victimes du terrorisme.