Nicole Kidman est un cas d'espèce. L'Australienne hollywoodisée depuis, surtout, son mariage avec Tom Cruise, semble saisie d'une boulimie frénétique (le pléonasme est bien assumé). Et cela avec plus ou moins de bonheur. Dans un premier temps, cette fringale pouvait s'expliquer par le «Cruiseblues» qui lui intimait, sans doute, de bouffer des scénarii à longueur de temps, pour combler un vide, mais surtout apporter, de cette façon, une preuve qu'elle ne doit sa célébrité qu'à son talent, plus qu'à la proximité d'un des plus courtisés acteurs américains, par les Studios, son ex-mari, depuis, T. Cruise. Et en ce 70e anniversaire du festival, Kidman, confirme ce label de «Fast and Furious», en étant présente avec pas moins de trois films: «Mise à mort du cerf» (compétition) le presque désopilant thriller anglo-américain réalisé par le Grec Yorgos Lamphilos, puis l'acidulé «How to Talk to Girls at Parties» de John Cameron Mitchell et, heureusement, «Les Proies» de Sofia Coppola. La fille de son père, mais pas que... Car elle est entrain de tisser sa toile, patiemment mais sûrement et les mailles ne sont pas forcément à l'envers, nombre sont à l'endroit. Et même au meilleur endroit, comme ici, à Cannes où la projection officielle de son film a été un bon (à défaut d'être un grand) moment de cinéma. Et l'on aurait voulu en dire autant du «Rodin» de Jacques Doillon, où Vincent Lindon, a fait tout son possible pour donner de l'étoffe à la pierre qu'il taille tout le long du film (quand il ne batifole pas avec ses modèles ou pire, ne malmène pas Camille Claudel).Alors on se demande bien si ce n'était pas son éclectisme qui aurait permis, jusqu'à présent, à Sofia Coppola d'arriver au bout de ce qu'elle entreprend, qu'elle que soit la thématique abordée. Quarante-cinq ans après Don Siegel, la cinéaste s'était attaquée, en 2016 donc, à l'adaptation du roman de Thomas Cullinan «The Beguiled» qui avait dans le rôle masculin un certain Clint Eastwood aux prises avec la belle Géraldine Page, qui passera donc le relais, presqu'un demi-siècle après, à Nicole Kidman. Dans le roman, sorti en 1966, de l'écrivain sud-africain, Cullinan l'action des Proies se déroule en pleine guerre de Sécession. Le caporal nordiste John McBurney (Clint Eastwood), blessé, trouve refuge dans un pensionnat confédéré où vivent huit jeunes femmes. Seul homme dans cette institution, il se croit le roi du pétrole... Mais il lui en coutera d'avoir pensé de la sorte. La séduction et les frustrations, le puritanisme et les fantasmes de tous ordres vont peu à peu engendrer une violence incontrôlée. Don Siegel avait mis toute sa verve vénéneuse dans ce thriller fantastique, acide à souhaits ou les Nordistes et les Sudistes sont renvoyés, sans distinction aucune, dans les cordes. Sans ménagement. Un jour Sofia Coppola avait déclaré: « ́ ́Je sais que chacun de mes films raconte l'histoire d'une fille qui essaie de grandir un peu plus. Dans Virgin Suicides, c'est l'histoire d'une fille qui essaie de s'émanciper de son milieu familial. Lost in translation, lui, met en scène une fille qui vit ses premières expériences loin de chez elle. Et dans Marie-Antoinette, on suit au final le parcours d'une adolescente qui progressivement devient une femme. ́ ́ Avec «Les Proies» on pourrait dire que la cinéaste explore le monde opaque de la solitude féminine. Cela s'explique par sa décision de recentrer l'histoire comme l'avait pensée l'auteur du roman, autour des femmes et non pas du caporal blessé, Clint Eastwood pour Siegel et Colin Farrel pour Sofia C. Si elle repartait de Cannes avec le Prix du scénario, il serait, pour une fois, justifié, car la réalisatrice a fait une très bonne adaptation du script afin d'y instiller ses propres thématiques et qui ont trait à l'éveil des sens, avec ce que cela véhicule comme difficultés et autres frustrations et violences. Même si le dispositif scénique est le même dans les deux films, un huis clos, il contient dans cette nouvelle version, une portée encore plus métaphysique sur le devenir de l'être et la prise en charge de ses pulsions et autres sensations. C'est un sujet, on ne peut plus d'actualité, à l'heure où le discours intégriste ou crypto-conservateur n'a qu'une seule obsession (plus que la découverte d'un médicament contre le cancer, l'on dirait) le contrôle et la mise sous le boisseau de tout ce que le féminin dégage hors du mâle-contrôle... La mise en scène asphyxiante, comme sous... burka, rend encore plus perceptible ce mal être persistant qui va déboucher ici, sur l'irréparable, car acculé dans une impasse mentale. Sans vouloir spoiler le film, l'on est tenté de dire que sa fin renverrait à son premier film... «Virgin Suicides»!Pour la petite histoire, vers le milieu des années 1970, le 8 mars, à Alger, des femmes avaient, deux années de suite, programmé au Mouggar... «Les Proies» de Don Siegel. Séances ouvertes également aux hommes. Authentique!