Il était hier impossible d'établir le bilan de la terrible répression des manifestations d'Andijan contre le régime d'Islam Karimov. Que s'est-il passé à Andijan, grande ville de l'est de l'Ouzbékistan, où des manifestations contre la mal- vie, la pauvreté et la cherté de la vie ont été férocement réprimées par l'armée qui a tiré sur les manifestants provoquant la mort de centaines de personnes selon des témoins ouzbeks. Ces derniers affirment avoir vu au moins 200 cadavres, 300 selon d'autres, jonchant les rues de la ville. Un correspondant d'une agence de presse européenne affirme avoir comptabilisé au moins 50 morts. 200, 300 morts, ou plus, personne ne peut l'affirmer en fait car aucun bilan indépendant n'a pu être établi, la presse étrangère ayant été empêchée d'entrer dans la ville rebelle d'Andijan, d'aucuns estimant, en effet, le bilan officiel peu crédible. Ainsi, le président Islam Karimov qui s'est transporté samedi sur les lieux du drame, affirme pour sa part, qu'il y a eu 30 morts, lors des accrochages ayant opposé l'armée aux manifestants, accusant au passage les islamistes d'être derrière la détérioration de la situation dans cette région. Selon le président Karimov, qui a réuni samedi à Tachkent la presse, les islamistes du Hizbi Tahrir sont derrière les événements d'Andijan, indiquant. «Les plans ont été élaborés par les mêmes personnes qui ont organisé les événements à Och», faisant allusion aux manifestations qui ont eu pour théâtre cette ville du sud du Kirghizstan avec comme résultat le renversement du président kirghiz Askar Akaïev en mars dernier. Aussi, pour Islam Karimov, les manifestions d'Andijan ne peuvent qu'être «liées au Hizbi Tahrir», ce dernier étant par ailleurs accusé d'être le commanditaire des attentats qui ont secoué l'Ouzbékistan ces dernières années. Toutefois, beaucoup d'analystes trouvent ces explications à tout le moins courtes et loin de refléter la réalité ouzbèke marquée par la paupérisation de la population. De fait, même la Russie, alliée privilégiée du président Karimov, tout en accusant également les islamistes de ce qui se passe en Ouzbékistan, n'en a pas moins relevé la situation difficile qui est celle des Ouzbeks au plan social. C'est ainsi que le vice-ministre des Affaires étrangères russe, Valeri Lochtchinine, tout en dénonçant samedi «ceux qu'on appelle les fondamentalistes islamiques», n'a pas manqué de relever «la situation sociale et économique difficile dans laquelle s'est retrouvée la population» Plus précis, Alexei Malachenko du centre Carnegie à Moscou, estime pour sa part qu'«il y a une concentration d'extrême pauvreté et même de famine dans la partie ouzbèke de la vallée de Ferghana, ainsi qu'une forte tradition islamique» qui n'a pris que «récemment un visage violent» indique-t-il. Ce que confirment des manifestants, l'un d'entre eux résume ainsi la situation en déclarant que «ce sont les gens simples qui protestent, ce ne sont pas des extrémistes» approuvé par un autre qui ajoute : «Nos salaires sont ridicules et nous ne sommes pas payés depuis cinq mois.» A l'évidence, pour le régime laïc d'Islam Karimov, il est plus aisé de pointer du doigt les islamistes, qui sans doute présentent un problème sérieux, que de prendre en charge les demandes et les besoins de la société. Ancienne République soviétique, indépendant depuis 1991, l'Ouzbékistan se trouve dans une situation paradoxale ayant conservé des liens étroits avec la Russie tout en s'ouvrant à l'Occident, notamment aux Etats-Unis qui disposent depuis 2001 d'une base militaire dans cette ex-République soviétique. Cette manne américaine - qui a fait pleuvoir quelques dollars sur le pays - n'a pas eu cependant de répercussions positives sur le mieux-être de la population dont la situation est restée très misérable. Les manifestations de protestation qui se sont étendues samedi à la ville de Kara-Suu, à la frontière avec le Kirghizistan, risquent de provoquer une déferlante protestataire sur le reste du pays, jusqu'ici demeuré assez calme. Après la Géorgie, l'Ukraine et la Kirghizie qui ont poussé vers la sortie les caciques et autres reliquats du pouvoir communiste, l'Ouzbékistan semble à son tour mûr pour suivre cette voie, mettant en sursis le pouvoir autoritaire du président Karimov qui préside aux destinées du pays depuis 1991.