Malgré le black-out et la chasse faite aux témoins gênants bien entendu dans ce cas de figure, les bilans de la répression du soulèvement en Ouzbékistan se succèdent, avec cette même tendance à la hausse. On n'en est plus aux 100 tués de la semaine et encore moins au chiffre donné par le pouvoir. Tout exprime l'horreur et l'intensité de la répression avec au passage de nouveaux témoignages sur l'origine du soulèvement, contredisant en tous points la version du pouvoir mettant en cause les islamistes. La contradiction est venue de l'extérieur, de pays occidentaux et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ainsi donc, au moins 745 personnes ont été tuées, a affirmé hier un parti d'opposition ouzbek, Ozod dekhkonlar (Paysans libres). Les membres de ce parti font du porte-à-porte à Andijan et dans sa banlieue pour interroger les habitants et noter les noms des victimes, a déclaré la dirigeante des Paysans libres, Nigara Hidoyatova, confirmant les indications données auparavant au quotidien russe Izvestia. « Nous avons entamé cette recherche maison par maison il y a deux jours et le chiffre de 745 a été atteint lundi », a indiqué Mme Hidoyatova. « Nous continuons aujourd'hui et le chiffre peut augmenter », a-t-elle ajouté. Le parti des Paysans libres, fondé fin décembre 2003, n'est pas enregistré officiellement. Il revendique 100 000 membres et, contrairement à Akromiya, groupe présumé être à l'origine de l'insurrection d'Andijan, n'a aucun lien connu avec l'idéologie islamiste, précise le quotidien russe. Le soulèvement d'Andijan avait commencé dans la nuit de jeudi à vendredi. Les partisans de 23 hommes d'affaires locaux accusés d'activités extrémistes ont pris d'assaut une garnison puis une prison pour les libérer, et enfin le siège de l'administration régionale. L'armée est ensuite intervenue en ouvrant le feu sur une importante manifestation qui se tenait sur la place centrale. C'est là où le plus grand nombre de victimes a été enregistré sans que cela suscite des réactions auprès des alliés de l'Ouzbékistan qui craignent sa déstabilisation comme c'est le cas actuellement dans la région de l'Asie centrale. Dans le meilleur des cas, elles étaient bien tardives et le président Islam Karimov avait rétabli l'ordre à sa manière. Mais visiblement, la répression n'a rien réglé, car la situation demeure précaire comme le démontre la fusillade qui a duré plusieurs heures dans la nuit de lundi à mardi dans la ville d'Andijan toujours en état de siège et bouclée par un dispositif militaire et policier. Hier après l'aube, des policiers ont indiqué que plusieurs postes de contrôle autour du bâtiment de l'administration régionale avaient été visés par des tirs, mais ont refusé de dire qui étaient les tireurs. Des tanks étaient stationnés dans le centre d'Andijan, qui avait été placée sous couvre-feu nocturne. A une cinquantaine de kilomètres à l'est, le calme est également revenu lundi dans la ville de Kara-Suu située à la frontière avec le Kirghizstan, après des tirs entendus dans la nuit de dimanche à lundi. Seules les ruines du commissariat de police et de l'hôtel des impôts, détruits par les flammes, témoignaient des violences de samedi. Tout pouvoir officiel semblait absent lundi dans la partie ouzbèke de la ville, mais on n'y voyait pas non plus lundi d'Ouzbeks souhaitant se réfugier au Kirghizstan, alors que samedi et dimanche plusieurs centaines de personnes avaient traversé la frontière après les violences de vendredi à Andijan. Un pays sort de l'anonymat, et des populations entendent se libérer d'un bâillon qui leur a été imposé depuis l'indépendance de cette ancienne république soviétique. Selon des témoignages concordants, c'est le début d'un processus vers la liberté. Un parcours bien difficile.