Andijan continue de compter ses morts alors que des zones d'ombre subsistent sur ce qui s'est passé dans cette ville ouzbèke. Le pouvoir ouzbek continue de minimiser les pertes humaines, mais il semble patent aujourd'hui que la répression des manifestations pacifiques ait tourné au carnage avec, à la clé, la mort de centaines de personnes, tuées sans sommation par des soldats et des forces de sécurité. Face aux nombreux témoignages de la population, le pouvoir a dû admettre, mardi, qu'effectivement quelque 169 personnes avaient été tuées, ou succombé à leurs blessures lors des tragiques événements de vendredi dernier. Le procureur général ouzbek, Rashitjon Kadyrov, a ainsi admis que les «événements» d'Andijan ont fait «169 morts, dont 32 membres des forces de l'ordre, 3 femmes et deux enfants». Ce chiffre officiel, loin de celui du président Karimov, qui affirmait samedi qu'il n'y a eu que «30 morts», reste cependant en deçà de la réalité, puisque l'Organisation des droits de l'homme ouzbèke avançait mardi un bilan de 745 morts affirmant que celui-ci pourrait s'alourdir quand sera achevé le recensement de toutes les personnes touchées par la répression. En tout état de cause, et nonobstant les bilans des uns et des autres, selon des témoignages concordants, il y a eu plus de trois cents morts dont les corps ont été répartis dans différentes écoles de la ville. Tentant de rattraper un tant soit que peu la mauvaise publicité que lui donnent les derniers événements, le gouvernement de Tachkent a organisé hier une visite à Andijan à l'intention des diplomates et des journalistes accrédités dans la capitale ouzbèke pour tenter de cautionner sa version des événements, maintenant que le pouvoir a eu affaire à une insurrection menée par des islamistes radicaux. Toutefois, à force de crier au loup, cela risque de ne plus marcher, d'autant plus que le pouvoir autoritaire d'Islam Karimov a trouvé la parade de la lutte «anti-terroriste» pour museler toute contestation. A Andijan, ce sont 10.000 à 50.000 personnes qui sont sorties crier leur ras-le-bol de la mal vie, de leur dénuement et du peu d'espoir qu'ils ont de voir cette situation changer. Fort de ses relations privilégiées avec Moscou et Washington, sinon de leur soutien, le président ouzbek, Islam Karimov, s'est voulu inflexible et a coupé court à toute revendication en faisant d'Andijan un exemple et un avertissement à ceux qui auraient la velléité de remettre en cause l'ordre établi. Quelque peu embarrassée, la secrétaire d'Etat américaine, Mme Rice, avait démenti mardi que «Washington ait fermé les yeux au cours des dernières années sur la répression pratiquée par le régime du président Islam Karimov au motif que ce pays est un allié (des Etats-Unis) dans la lutte antiterroriste». Il reste que la condamnation américaine de ce qui s'est passé à Andijan a été très molle, Mme Rice s'est astreinte au minimum en déclarant, après une rencontre avec le chef de la diplomatie britannique, Jack Straw, «après les événements qui viennent de se produire, nous espérons que le gouvernement de l'Ouzbékistan se montrera très ouvert pour comprendre ce qui s'est passé». Condoleezza Rice ajouta par ailleurs: «Personne ne demande à un quelconque gouvernement de négocier avec des terroristes. Ce n'est pas là le problème. Le problème, c'est qu'il s'agit d'une société qui a besoin d'ouverture, de réformes». Ces dénégations n'ont guère convaincu un ancien ambassadeur britannique en Ouzbékistan, Craig Murray, limogé en octobre dernier, pour ses prises de position publiques contre le régime d'Islam Karimov, qualifiant, hier, Londres et Washington «d'hypocrites» lesquelles soutiennent «un régime qui a réprimé dans le sang une manifestation pacifique». M.Murray a aussi indiqué que «c'est intéressant de voir l'hypocrisie de Jack Straw et des autres qui affirment qu'ils font quelque chose» dans un entretien au quotidien gratuit Metro. Craig Murray souligna par ailleurs que «les Américains sont cyniques: leur intérêt en Asie centrale ne concerne que le pétrole et le gaz. Nous soutenons un dictateur en Asie centrale pour avoir accès aux hydrocarbures et nous évinçons un dictateur en Irak pour avoir accès aux hydrocarbures». D'autre part, après les événements d'Andijan, et la controverse sur le bilan de la répression, le Haut commissaire de l'ONU pour les droits de l'Homme, Mme Louise Arbour, a demandé hier la mise en place d'une enquête indépendante sur les violences en Ouzbékistan. Mme Arbour n'a pas manqué de se dire «profondément préoccupée par les récents actes de violence et les pertes en vies humaines à Andijan».