les arabes plus que jamais divisés Dans les usages diplomatiques, quand un différend éclate entre deux pays, la pratique voudrait qu'il y ait d'abord convocation des ambassadeurs, rappel de ceux-ci et saisine des instances régionales et internationales avant qu'une quelconque rupture diplomatique ne se fasse. Une inattendue tempête vient de secouer le Monde arabe. L'Egypte, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn ont annoncé la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar. La raison? Cet Emirat «soutient le terrorisme». Jusqu'à très récemment pourtant, un équilibre assez fort semblait régner sur la région. Cet équilibre, bien que régulièrement menacé par des conflits de divers acabits, était à chaque fois subtilement renégocié par les acteurs régionaux, notamment l'Arabie saoudite, l'Egypte et le Qatar. Mais, cette-fois, la crise est si forte et elle évolue à une vitesse telle qu'il est difficile d'en prévoir les conséquences, du moins à court et à moyen terme. En effet, le Monde arabe n'a jamais vécu une crise d'une telle ampleur depuis 1978, année où le président égyptien Anouar Al Sadate a tenu un discours à la Knesset, lequel discours aurait, a-t-on déduit alors, entraîné son assassinat au Caire la même année. Il est, estiment certains observateurs, au bord de l'explosion et ce n'est pas une vue de l'esprit. Dans les usages diplomatiques, quand un différend éclate entre deux pays, la pratique voudrait qu'il y ait d'abord convocation des ambassadeurs, rappel de ceux-ci et saisine des instances régionales et internationales avant qu'une quelconque rupture diplomatique ne se fasse en cas de non-aboutissement de ce type de démarche. Entre l'Egypte, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Qatar, c'est tout le contraire qui s'est produit. Ces pays ont brutalement rompu leurs relations diplomatiques avec Doha, l'ont exclu de la coalition d'intervention au Yemen conduite par Riyadh, en l'accusant de «soutenir le terrorisme». Cette rupture installe la région dans une ambiance de pré-guerre. Et même si l'idée d'un conflit majeur dans la région étant encore exclue, les principales puissances rivales priviligiant le dialogue, il est évident que le Moyen-Orient, par ce coup de théâtre, entre dans une zone de turbulence d'où il ne lui sera pas facile de sortir. Il est vrai que le Qatar, jaloux de sa position de puissance régionale qu'il occupe depuis un certain temps, serait prêt à négocier et à faire des concessions sur quelques dossiers. Il est vrai aussi qu'une situation de guerre n'arrange pas les intérêts stratégiques de cette puissance tant les conflits en Syrie, au Yémen et en Irak pénalisent l déjà grandement la région et qu'une guerre, quels qu'en soient les objectifs et les enjeux, peut toujours déboucher sur des reconfigurations géopolitiques imprévues et incontrôlables. Toutefois, la volonté de l'Arabie saoudite de s'ériger en hyperpuissance dans l'aire arabo-musulmane et d'y occuper une position hégémonique n'est pas de nature à encourager une démarche allant dans le sens de l'apaisement, à moins que celui-ci signifie simplement la capitulation devant ses desiderata, surtout qu'elle a les faveurs des USA. D'ailleurs, cette crise qui secoue le Moyen-Orient intervient à quelques semaines de la visite effectuée par le président américain en Arabie saoudite et au cours de laquelle il a exprimé son soutien. En effet, le recours à la méthode forte par l'Arabie saoudite et ses alliés dans la région est sans nul doute motivé par le soutien indéfectible et décomplexé dont elle bénéficie de la part des Etats-Unis, notamment depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, y compris dans sa guerre de leadership contre l'Iran. C'est une occasion en or pour aller s'affirmer et s'ériger en tuteur de tous les pays des la région et elle ne veut pas la rater. Toutefois, la grande question qui se pose dans le sillage de cette pré-guerre qui se dessine, c'est l'avenir de la Ligue arabe. Cette organisation régionale va-t-elle survivre à cette crise? En tant que qu'unique organisation à caractère politique et diplomatique plus ou moins rassembleuse, la Ligue arabe a de bonnes raisons de continuer à exister. Même si son poids à l'échelle internationale s'effiloche jour après jour, elle demeure représentative dans la région et sa survie est de nature à garantir une résolution plus pacifique de certains conflits, notamment ceux à faible importance géopolitique et dont les enjeux se limitent aux seuls pays du Moyen-Orient. Il faut rappeler par ailleurs qu'un crise du même genre, mais relativement minime par rapport à celle-ci, a eu lieu en 2014 lorsque l'Arabie saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis ont rappelé leur ambassadeur à Doha pour protester contre «le soutien du Qatar aux Frères musulmans».