Mis en quarantaine par les monarques du Golfe, appuyés par l'Egypte, le Qatar se trouve dans une situation complexe. Toutefois, cette exclusion de Doha n'est pas innocente, d'autant plus que l'accusation de financement et soutien du «terrorisme» pourrait aussi bien se retourner contre les accusateurs. En effet, en matière de soutien au terrorisme, ses accusateurs sont loin d'avoir la conscience aussi nette qu'ils veulent le faire croire. L'Arabie saoudite, pour ne citer que le chef de file des détracteurs du Qatar, n'a vraiment rien à envier à son turbulent voisin dans ce domaine. Ceci dit, il est patent que le Qatar [avec son fer de lance, la chaîne de télévision Al-Jazeera] a eu un rôle magistral si ce n'est dans l'avènement du terrorisme, du moins dans son financement et son extension au Monde arabe. Le Qatar est celui qui a donné audit «printemps arabe» la dimension destructive qu'il a prise, instaurant au passage le chaos dans une demi-douzaine de pays arabes. La chaîne qatarie Al-Jazeera a même tenté, à maintes reprises, d'allumer la mèche de la fitna en Algérie. L'ex-puissant Premier ministre et ministre des Affaires étrangères qatari de l'époque, Hamed ben Jassem Al-Thani, avait (lors d'un sommet de la Ligue arabe en 2012), critiqué un vote de notre ministre des Affaires étrangères, menaçant: le «tour de l'Algérie viendra». Ceci pour l'Histoire et pour rafraîchir les mémoires. Et voilà donc que ses frères d'armes se retournent contre Doha, alors qu'ils ont accompli ensemble les pires forfaits contre l'unité du Monde arabe. Le Qatar, certes, mais on ne peut ignorer le rôle, tout aussi pernicieux, joué par l'Arabie saoudite au Moyen-Orient et au Maghreb, dont la finalité était rien moins que de désorganiser leurs Etats. Ces monarchies obscurantistes - mais richissimes - se sont attaquées aux seuls Etats laïcs arabes où coexistaient les religions, aidés en cela (ce qui est curieux) par les «démocraties» occidentales. Certes, aujourd'hui les feux sont braqués sur le Qatar, cela aurait aussi bien pu être le cas de l'Arabie saoudite d'être en point de mire. Le Qatar - qui avait déjà participé, sous couvert de l'Otan, à la destruction de la Libye en 2011 - outrepassant sa nouvelle puissance, imposa en 2012 - lors d'un Sommet arabe tenu à Doha - la rébellion syrienne comme «représentante» du peuple syrien. Quelque chose d'inédit dans les annales de la géopolitique moderne. L'Algérie et l'Irak avaient dit non. Ce qui avait d'ailleurs induit l'apostrophe du Premier ministre qatari à l'endroit de notre chef de la diplomatie. Un minuscule Etat a ainsi imposé à ses pairs arabes son diktat. Le terrorisme qatari, c'était d'abord cela, investissant des sommes énormes dans la rébellion syrienne et dans les groupes jihadistes qui ont mis le pays de Cham et le Monde arabe à feu et à sang. Une rébellion et un terrorisme, actionnés sciemment, fomentés, financés, armés et téléguidés de l'étranger, avec le soutien actif du Qatar et de l'Arabie saoudite. En accusant Doha de financer le terrorisme, Riyadh, fait donc un aveu, assumant cette partie sombre de l'expansion - via le wahhabisme et les pétrodollars - du terrorisme dans les Mondes arabe et musulman. Selon le groupe de recherche GTD (Global Terrorisme Database de l'université états-unienne du Maryland), 98% des victimes du terrorisme (entre 2000 et 2015) se trouvaient dans les pays arabes et musulmans. Le Qatar, tout minuscule qu'il est, voulait régner sur le Monde arabe, marchant quelque part sur les plates-bandes de l'Arabie saoudite qui elle aussi veut assujettir les pays arabes à son diktat. L'exemple du Liban, parmi d'autres, le montre aisément. L'an dernier, Riyadh avait retiré l'aide de quatre milliards de dollars alloués à ce pays, au titre de la modernisation de son armée. Or, à l'instigation de l'Arabie saoudite, le CCG avait placé le Hezbollah libanais sur la liste noire des groupes terroristes que Riyadh voulut faire entériner par la Ligue arabe lors d'une réunion au Caire. Sans surprise, Beyrouth vota contre ce projet. Son effet immédiat a été donc le retrait de «l'aide» saoudienne au Liban. Ainsi, Riyadh pensait avoir «acheté» par sa petite contribution le pays du Cèdre. Riyadh a simplement puni Beyrouth pour son indocilité. Cette docilité est réclamée désormais au Qatar par des demandes - notamment le changement de politique et la fermeture de la chaîne Al-Jazeera - injustifiées et absurdes, attentatoires à la souveraineté de ce petit Etat. Bien sûr que le Qatar mérite largement ce qui lui arrive, mais faut-il pour autant faire chorus contre Doha, quand Riyadh, un des parrains du terrorisme, se transforme subitement en père fouettard et redresseur des torts? Aussi de quoi parle-t-on donc, alors que les Royaumes arabes sentent de plus en plus la pourriture?