Forte du soutien de Donald Trump, l'Arabie saoudite a mis la pression sur le Qatar, trop indépendant. Allemagne et Etats-Unis viennent au secours de l'émirat gazier La danse du sabre de Donald Trump valait-elle carte blanche? C'est quelque jours après la réception fastueuse de Donald Trump en Arabie saoudite et ses congratulations sur Twitter que l'Arabie saoudite et les Emirats arabes-unis ont rompu leurs relations avec le Qatar, et fermé leurs frontières ainsi que l'espace aérien avec la minuscule mais richissime péninsule. Mais alors que Riyad vient de publier une liste de "terroristes" soutenus par Doha, ce vendredi, les chefs de la diplomatie américaine et allemande semblent vouloir mettre un frein l'action des monarques saoudien et émirati: le secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson a appelé à alléger le blocus imposé au Qatar, affirmant qu'il gênait la lutte contre le groupe Etat islamique (EI) dans la région. De son côté, Sigmar Gabriel, ministre allemand des Affaires étrangères qui recevait son homologue qatari, a demandé la levée de ce blocus. Les régimes autoritaires ulcérés par l'indocilité du Qatar La crise provoquée lundi est alimentée, selon Riyad, par le "soutien au terrorisme" du Qatar, la monarchie mettant dans le même sac les Frères musulmans -aussi honnis à Riyad qu'à Abou Dhabi-, Al-Qaïda, et l'EI. L'Egypte, Bahreïn et les Emirats arabes unis se sont associés à la décision de l'Arabie saoudite, qui se veut leader des pays sunnites de la région. Ces pays reprochent aussi au Qatar son rapprochement avec l'Iran chiite, le grand rival régional de l'Arabie. Parmi les exigences du ministre émirati aux Affaires étrangères, Anwar Gargash pour une sortie de crise, figure l'arrêt de ce qu'il qualifie de propagande "extrémiste" de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera, chaîne très suivie dans toute la région qui a relayé les mouvements de contestation contre les régimes autoritaires pendant les printemps arabes. Pour nombre d'observateurs, Riyad et Abou Dhabi croyaient, par l'accueil théâtral réservé à Trump et leurs promesses de contrats mirobolants, s'être achetés le soutien inconditionnel des Etats-Unis. Et avoir la main pour ramener dans le rang le Qatar jugé trop indocile. Doha a refusé de céder: "Personne n'a le droit d'intervenir dans notre politique étrangère", a déclaré cheikh Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani, jeudi. Donald Trump s'est vite mêlé à la crise, à sa façon: en tweetant. Mardi matin, il reprenait à son compte les récriminations saoudiennes et accusait le Qatar, pourtant allié des Etats-Unis, de financer les extrémistes. Le Pentagone, à contre-courant de la Maison Blanche L'isolement du Qatar marquera "peut-être le début de la fin de l'horreur du terrorisme" disait-il. "Tous les éléments pointent vers le Qatar" dans le financement de l'extrémisme religieux, ajoutait-il, s'attribuant même la décision de ce boycott. Le président semblait avoir oublié que l'émirat abrite le Commandement central des forces aériennes des Etats-Unis, avec 10 000 soldats américains stationnés sur la base d'Al-Udeid. Ce qui explique sans doute, qu'à l'inverse du locataire de la Maison Blanche, depuis lundi, le Pentagone a affiché à plusieurs reprises son soutien au Qatar, comme le souligne le spécialiste de la région David Hearst sur le site Middle East Eye. Les revirements de Trump La décision du Parlement turc de permettre le déploiement de troupes turques au Qatar et le soutien allemand à l'émirat auraient amené, selon David Hearst, les conseillers du président américain à l'inviter changer de discours. Ainsi, mercredi, Trump appelait à "l'unité" et proposait même sa médiation. Trump ignorait-il, comme le prétend MSNBC, que des troupes américaines étaient stationnées au Qatar? La Maison Blanche dément. Nouvellement briefé ou pas, le président américain a semblé infléchir sa position en milieu de semaine. Et ce vendredi, il a décroché son téléphone pour parler au dirigeant égyptien Al-Sissi, selon Reuters. Avant, une fois de plus, vendredi après-midi, de recommencer à souffler sur les braises: "la nation du Qatar, malheureusement, a historiquement financé le terrorisme à un très haut niveau", a accusé Trump lors d'une conférence de presse. Reste à savoir qui, de la Maison Blanche, du Département d'Etat ou du Pentagone, imposera sa ligne. Pourquoi le Qatar est-il accusé de soutenir le terrorisme? Le Qatar est considéré comme l'un des principaux bailleurs de fonds de la Société des Frères musulmans, l'organisation islamique transnationale. Or pour les autres pays du Golfe, cette confrérie est considérée comme une organisation terroriste. Lors des printemps arabes, le Qatar a soutenu et financé les Frères musulmans, notamment en Egypte, alors que l'Arabie Saoudite et les autres monarchies du Golfe ont pris le parti des militaires. D'un point de vue idéologique, la doctrine défendue par les Frères musulmans s'oppose à celle des wahhabites, au pouvoir à Ryad. "L'Arabie Saoudite s'est aperçue que les Frères musulmans menaçaient de saper sa puissance. Donc pour protéger ses intérêts elle entretient de manière délibérée la confusion entre l'organisation des Frères musulmans et une mouvance terroriste", analyse Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du Moyen-Orient. Or c'est justement pour accroître son influence que le Qatar a apporté son soutien aux Frères musulmans. "Pour cela il a fait usage de toutes sortes de moyens, notamment en s'alliant avec des ennemis de l'Arabie Saoudite", signale Marc Lavergne. "Il y a quelque chose de tout à fait opportuniste dans cette compétition entre l'Arabie Saoudite et le Qatar. Il est possible que le Qatar ait soutenu des mouvements terroristes, mais jusqu'à présent, l'Arabie Saoudite n'en a apporté aucune preuve", ajoute-t-il.