Les monarchies du Golfe imposent leur vue au Monde arabe! Cela s'est passé à Tunis, mercredi, quand les ministres de l'Intérieur de la Ligue des Etats arabes ont avalisé la décision du CCG (Conseil de coopération du Golfe) de classer le mouvement chiite libanais, Hezbollah, comme organisation «terroriste». Or, le Hezbollah - nonobstant la vision que l'on peut avoir de lui - est partie prenante du gouvernement libanais et participe au fragile équilibre qui maintient le pays du Cèdre à flot. Aussi, s'attaquer au Hezbollah, c'est agresser directement le Liban qui n'a pas les moyens de se défendre face à une offensive aussi frontale menée contre lui par le CCG, en réalité par l'Arabie saoudite. Ce qui a fait dire au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah: «Si vous (les Saoudiens) avez un problème avec nous, vous pouvez continuer en ce sens (...), mais qu'est-ce que le reste du Liban a à voir avec ça?». Qu'a, en effet, à voir le Liban dans une querelle où il ne joue aucun rôle, dans l'optique de la guerre de leadership que se livrent l'Arabie saoudite et l'Iran? Le malheur pour le Liban est qu'il vit depuis 1943 assis sur une bombe à sous-munitions - sa Constitution basée sur le confessionnalisme [un autre mauvais coup du mandataire français. La France encore!!!] - qui n'en finit pas d'exploser depuis 1975 et la sanglante guerre civile, sans qu'il ne soit possible de la désamorcer. C'est à ce Liban meurtri et divisé que l'Arabie saoudite compte imposer son diktat et, sans doute, au Monde arabe. Quel jeu, dangereux, joue donc Riyadh qui s'est engagé dans de périlleuses surenchères? Depuis 2011, l'Arabie saoudite est devenue l'un des principaux pivots de déstabilisation de la région arabe, notamment par son financement de la rébellion syrienne. L'Arabie saoudite avait même pris très mal, en août 2014, le renoncement des Etats-Unis à bombarder la Syrie et encore plus mal le fait que l'Iran - après l'accord sur son programme nucléaire - sorte de l'isolement dans lequel l'Occident et ses alliés des monarchies du Golfe ont maintenu la République islamique. Ce que les analystes perdent de vue - du moins ne prennent pas en compte - est le fait que le Liban est un Etat multiconfessionnel où les chrétiens, les sunnites et les chiites sont [au plan démographique] quasiment à égalité. Or, les chrétiens sont manipulés par, singulièrement, la France, les sunnites par l'Arabie saoudite, en particulier - Riyadh a été le bailleur de fonds attitré des gouvernements Hariri (père et fils) et, last but not least, les chiites par l'Iran. C'est la particularité qui explique pourquoi depuis 18 mois, notamment, le Liban n'arrive pas à élire un président. En fait, le Liban n'est que la victime collatérale du bras de fer entre Saoudiens et Iraniens. Il y a deux semaines, Riyadh avait annonçé la suspension de «l'aide» de quatre milliards de dollars (3,6 milliards d'euros) au Liban qui devait permettre à Beyrouth de moderniser son armée. Au regard du développement des événements [suspension de l'aide financière, appel aux ressortissants saoudiens de quitter le Liban, inscription du Hezbollah sur la liste noire des organisations «terroristes»], il est loisible d'estimer que l'Arabie saoudite, par son aide financière, pense avoir «acheté» le Liban et s'attendait donc à ce que la soumission du pays du Cèdre soit totale. Or, lors d'une précédente réunion de la Ligue arabe, au Caire, le Liban avait montré son indépendance en refusant de s'associer à la condamnation du Hezbollah, que demandait l'Arabie saoudite. Riyadh appréciant très mal l'indocilité de Beyrouth a pris contre lui une série de mesures coercitives. L'un des principaux griefs fait au mouvement chiite libanais [le seul groupe armé arabe à avoir tenu tête à Israël] est d'avoir prêté main forte au régime syrien (à la demande de Damas) contre les rebelles syriens dont l'un des bailleurs de fonds n'était autre que... l'Arabie saoudite. Justifiant les mesures prises contre le Hezbollah, le secrétaire général du CCG, Abdellatif Zayani,a indiqué que «les exactions du Hezbollah dans les pays du CCG et ses actes terroristes et d'incitation en Syrie, au Yémen et en Irak (...) sont une menace pour la sécurité nationale arabe», annonçant des mesures «appropriées» contre le mouvement sans dire lesquelles. Mais oui, Riyadh crie à l'ingérence des autres, sans voir ses propres immixtions dans les affaires d'Etats souverains. C'est le cas de la Syrie, outre le Liban, dont plus de la moitié de la population est ballottée entre plusieurs pays et ceux qui sont restés survivent et vivent dans des conditions dramatiques. L'Arabie saoudite porte une grande responsabilité dans la destruction de la Syrie, et ses milliards de pétrodollars, ont servi à essaimer l'intégrisme wahhabite et à déstabiliser, notamment, le Monde arabe. Et ce sont ces «Arabes» qui participent à donner à voir dudit Monde «arabe» une image qui éberlue la communauté des Nations. Et c'est le pyromane, Riyadh, qui crie au feu!